Par Régis Soavi
Dès septembre 2023 dans les dojos de l’École Itsuo Tsuda, à Paris, à Toulouse comme à Milan, en plus des séances quotidiennes, une séance d’Aïkido hebdomadaire sera exclusivement réservée aux femmes.
Une séance pour des femmes, gérée par des femmes, conduite par des femmes
Tout est dit.
Pourquoi ai-je suscité et donné résolument mon soutien à ce projet ?
L’Aïkido de Tsuda senseï, quant à lui, m’a permis d’appréhender une autre dimension qui allait bien au delà de ce que j’avais pu percevoir dans une première approche des arts martiaux. Il écrit d’ailleurs à ce propos, et cela déjà en 1982, cette phrase qui semble prémonitoire : « L’Aïkido, conçu comme mouvement sacralisé par Maître Ueshiba est en train de disparaître pour faire place à l’Aïkido athlétique, sport de combat, plus conforme aux exigences des civilisés » (Tsuda Itsuo, La Voie des dieux, éd. Le Courrier du Livre). Il avait cette façon de toucher, souvent simplement à l’aide de quelques mots, nos points sensibles, d’ouvrir des portes dans notre esprit afin de nous (ses élèves) faire réfléchir sur le concret, sur la vie quotidienne.
Un art qui émancipe
Une personne émancipée est une personne autonome, indépendante, libre : notre recherche est dans cette direction. En créant des espaces de liberté, des lieux différents de par leur nature profonde, on peut permettre que des conditions qui favorisent l’épanouissement de l’être se mettent en place de façon réellement autonome. Les dojos sont des lieux d’une telle nature. Mais qui le sait ?! La crainte de retrouver les mêmes conditions que dans tout ce qui les entoure et les oppresse « en toute discrétion » ne suscite pas les femmes à entrer dans un de nos dojos pour voir ce qui s’y passe réellement, désabusées qu’elles sont par les tentatives infructueuses déjà subies ou par la fausseté des discours souvent lénifiants bien que si sociétaux. Il me semble que nous devons créer des situations à l’image de l’affirmative action aux États-Unis, traduite à mon avis à tort par « discrimination positive », qui fut rendue possible par l’initiative de J. F. Kennedy au tout début des années soixante. Une nouvelle situation, un positionnement des dojos, permettant aux femmes qui, bien qu’attirées par les arts martiaux, n’auraient aucune envie de se confronter une fois de plus au sexisme (même s’il est involontaire et gentil). Permettre de tenter, parce qu’elles ont un rapport au corps qui est le leur, différent de celui des hommes, ce qui, pour une fois, ne leur sera ni reproché ni accepté de manière condescendante, de trouver du plaisir comme de l’efficacité grâce au développement corporel dans les mouvements, de la stabilité et de l’équilibre dans l’harmonisation de la respiration sans ambiguïté ni complaisance. La compétition étant absente, elles peuvent ainsi découvrir toutes les capacités de leur « être », de la totalité de leur corps comme de leur esprit dans un milieu sécurisé par l’aspect non mixte mis en place. Le côté martial qui lui non plus n’est pas oublié permettra de retrouver des capacités et une assurance face à l’adversité existant dans un monde dominé par le pouvoir du masculin.
Un art qui s’émancipe
L’Aïkido est un dépassement des conflits : ai-nuke, il est une occasion de comprendre comment gérer les problèmes de société. Tsuda senseï écrit « L’Aïkido de Maître Ueshiba, d’après ce que j’ai senti, a été entièrement rempli de cet esprit de ai‑nuke, qu’il appelait de « non‑résistance ». Après sa mort, cet esprit a disparu, la technique seulement en est restée. Aïkido, à l’origine, voulait dire la voie de coordination du ki. Entendu en ce sens, ce n’est pas un art de combat. Lorsque la coordination est établie, l’adversaire cesse d’être adversaire. » (Tsuda Itsuo, Face à la science, éd. Le Courrier du Livre.) C’est à chacun d’entre nous de prendre en main cet instrument, car c’est entre nos mains qu’il peut acquérir une réelle efficacité non par des discours mais en servant d’exemple des possibilités à notre portée. En ouvrant le corps, on ouvre les yeux sur les réalités. C’est maintenant ou jamais pour nous enseignants de permettre que notre art, puisque sensé être plus lucide, soit l’art du dépassement des arts anciens, puisant dans ses origines qui ne sont pas niées mais comprises comme étant la nécessité, certes archaïque, d’une époque aujourd’hui révolue. En créant les conditions nécessaires pour permettre que les femmes se réapproprient, au moins dans notre École, ce qui leur échappait et leur manquait depuis tant de siècles, il s’agit de mettre en place un contexte, un environnement, une ambiance indispensable, un cadre essentiel, pour que ce travail de reconquête puisse s’accomplir. Ces séances dédiées ne sont en quelque sorte qu’une proposition pour susciter une situation de rééquilibrage qui devra s’étendre à tout les domaines, dans les arts martiaux comme au dehors dans la société, et principalement dans chaque aspect de la vie quotidienne. Kunigoshi Takako senseï, une des rares élèves féminine du Kobukan Dojo, rapportait ces paroles de O senseï : « Que ce soit la cérémonie du thé ou l’arrangement floral, il existe des points communs avec l’Aïkido car le ciel et la terre sont faits de mouvement et de calme, de lumière et d’ombre. Si tout était continuellement en mouvement il y aurait un complet chaos. » (Kunigoshi Kunigoshi, Les Maîtres de l’Aïkido – période d’avant guerre, éd. budoconcepts).
Vous souhaitez recevoir les prochains articles ? Abonnez vous à la newsletter :
« Aïkido un art qui émancipe. Un art qui s’émancipe » un article de Régis Soavi, publié dans Self et Dragon Spécial Aikido n°15 en octobre 2023.