Par Régis Soavi.
Pratiquer l’Aïkido sans utiliser les atemis, c’est un peu comme vouloir jouer d’un instrument à cordes auquel il manque des cordes ou dont les cordes sont distendues.
Les atemis font partie des arts martiaux et bien sûr il est indispensable dans l’Aïkido de bien les enseigner et de comprendre leur importance. Depuis ikkyo jusqu’à ushiro katate dori kubishime à chaque fois que je montre une technique, je montre que tout est prêt pour placer un atemi, la conjoncture, le placement, la posture. Si on pratique en ayant à chaque instant la sensation du centre de la sphère, et des points de contacts entre les sphères des partenaires, on peut voir qu’il y a des espaces vides qui permettent de placer un ou des atemis. Il est nécessaire de former les élèves dès le début sinon ils ne comprendront pas le sens profond des mouvements de même que leur réalité, leur concrétude. Dès l’initiation il est important de faire découvrir, de faire sentir les lignes de pénétration qui peuvent arriver jusqu’à notre corps et le mettre en danger, rien que pour cela Uke doit être formé à l’esprit de l’atemi.
Dans l’année nous avons un stage un peu particulier pour les pratiquants les plus anciens, comme pour ceux qui conduisent des séances dans leur dojo. L’entraînement y est plus poussé, plus intense, de tous les points de vue et pour faire sentir l’impact des frappes, telles que Tsuki, Shomen uchi ou Yokomen uchi, nous utilisons des Makiwara portables. Je pense que la meilleure façon d’appréhender de quoi il s’agit c’est que les atemis soient vraiment portés, aussi bien pour Tori que pour Uke, bien sûr sans une force réelle et pas à chaque fois, mais le seul fait d’être touché amène à la conscience du risque.
Il s’agit de développer un instinct qui réveille l’être véritable qui est ensommeillé derrière une apparence de sécurité causée par le confort et l’assistance qu’apportent les sociétés développées, il s’agit aussi de sortir du rôle social que chacun endosse, pour tout simplement nous retrouver.
Quand j’ai commencé l’Aïkido au début des années soixante-dix, on parlait beaucoup des points vitaux, Henry Plée senseï ou Roland Maroteaux senseï nous montraient comment se débarrasser d’un adversaire en frappant ou en touchant de manière précise un de ces points. Il y avait des cartes pourrait-on dire du corps humain qui les répertoriaient. J’ai l’impression que souvent cela s’est perdu dans de nombreux dojos au profit de techniques plus simples peut-être, plus directes certainement, à coup sûr plus violentes, plus proches du combat de rue, mais qui s’éloignent de la pratique d’un Budo. Ou bien, au nom d’une esthétique, d’une idée de la paix mal comprise, mal interprétée, on a édulcoré et rendu inoffensifs des gestes qui avaient un sens profond.
L’École Itsuo Tsuda a la volonté de garder un esprit traditionnel, à travers un enseignement de l’Aïkido bien sûr mais aussi du Seitai, sans rien négliger des anciennes connaissances, au contraire, en mettant à profit tout ce que j’ai pu apprendre des maîtres que j’ai eu la chance de rencontrer tant en Aïkido qu’en jiu-jitsu, ou dans l’apprentissage du maniement des armes dans cette époque encore riche de respect envers les traditions.
Reste un point qui est primordial : LE SAVOIR-FAIRE. On peut disserter des heures sur le sujet, si on n’enseigne pas correctement et concrètement comment immobiliser un agresseur ou le rendre inoffensif au moins pour un moment, par exemple à l’occasion d’une saisie d’un vêtement au col ou aux épaules avec une ou deux mains, ce qui est une approche courante comme prise de contact à l’improviste, tout cela sera inutile. C’est grâce au travail sur la respiration, dans l’entraînement quotidien, à la capacité de fusionner avec un partenaire que l’on découvre l’intermission respiratoire, cet espace qui existe entre expire et inspire où l’individu est dans l’impossibilité de réagir. Ensuite c’est la capacité à l’utiliser lorsque cela s’avère nécessaire qui permet par une frappe assez légère mais particulière et en profondeur au plexus solaire à ce moment précis de la respiration, de le neutraliser. Au moins les quelques microsecondes indispensables pour exécuter une technique, une immobilisation ou parfois tout simplement lorsque c’est nécessaire pour prendre la fuite.
Article de Régis Soavi, publié dans Aikido Journal no74, juin 2020 sur le thème : Enseignez-vous les atemis ?