Régis Soavi nous raconte sa découverte des calligraphies de Maître Itsuo Tsuda.
« Quand j’ai commencé à enseigner l’Aïkido, comme beaucoup, j’avais une photo de Maître Ueshiba au Tokonoma. C’est comme ça que j’avais appris, on saluait en direction du maître. Quand je suis allé au dojo de Maître Tsuda pour la première fois, il y avait une calligraphie, imprimée par un de ses amis qui était artiste, à partir d’une gravure sur pierre très ancienne. C’était « Bodaï ». Cette calligraphie était là alors que je m’attendais à voir une photo de Maître Ueshiba… En plus son trait était gros… – un trait qui fait huit centimètres de large, c’est très large ! – et ça donnait une résonance différente, ça respirait autrement…
C’est une autre dimension.. Et le fait de voir la calligraphie à chaque séance… ça change tout.
Vers le mois de juin, Maître Tsuda arrivait avec ses calligraphies roulées sous son bras et les mettait au dojo : elles étaient exposées et mises en vente.
Il faut dire que les premières années, au dojo, on n’y comprenait rien du tout… ! On ne savait pas ce que c’était, donc on demandait « Qu’est-ce que ça veut dire ? »… et on n’était pas du tout capables d’apprécier les calligraphies…
Leur prix était fixé à environ cent euro, ce qui est dérisoire, mais qui nous paraissait énorme ! Ce prix-là juste pour un idéogramme ! Ça nous semblait disproportionné !
Il nous a fallu un certain nombre d’années pour commencer à les apprécier et à ressentir ce qu’il exprimait à travers elles.
Il expliquait parfois que les gens qui s’intéressent à la calligraphie savent que ce n’est pas le signe qui est important, mais l’espace qu’il délimite. Je dois dire qu’à l’époque, ça nous paraissait un peu curieux. Nous étions en quelque sorte hermétiques à tout cela. Je ne comprenais pas. Puis petit à petit, on a commencé à apprécier.
C’était surtout les Suisses qui en achetaient, parce qu’ils avaient plus d’argent que les Français ! Il y a eu ainsi un bon nombre de calligraphies qui sont parties en Suisse.
Mais ceci dit, de façon générale, il y avait quand même un certain nombre de personnes qui en achetaient. Souvent parce que c’était un peu comme un souvenir de Maître Tsuda. Mais après, malheureusement, ces personnes n’en prenaient pas toujours soin : on a retrouvé des calligraphies pliées en quatre parce qu’elles avaient été rangées dans un tiroir. Le tissu s’était abîmé évidemment !
Au fur et à mesure, ça a pris un sens pour moi ; je me suis dis : « Si Maître Tsuda laisse ces calligraphies, c’est qu’il y a quelque chose ».
J’ai alors commencé à m’intéresser à la calligraphie. Aussi en dehors de celles d’Itsuo Tsuda. J’ai découvert d’autres types de calligraphies et les kakemono. J’ai commencé à les regarder, à voir et à essayer de sentir ce qui se passait. Et en voyant des calligraphies de grands maîtres, comme par exemple des maîtres de Zen, petit à petit, j’ai découvert qu’effectivement, ce n’était pas l’esthétique qui comptait, c’était autre chose. Mais cela dépend des maîtres : il y a les calligraphies d’un grand maître de Zen dont je peux dire « Oui, elles sont très esthétiques, elles sont magnifiques au dessus d’un buffet 1930, mais elles ne me parlent absolument pas ! » Et par contre, parfois, des calligraphies faites par des inconnus ont une grande force…
Il y a quelques années je passais dans un restaurant japonais, et dans l’entrée je vois une calligraphie montée en kakemono. Et je me suis dis « Hah, ça c’est une calligraphie ! », puis je demande au patron « Qu’est-ce que c’est, la calligraphie ? »… il répond : « Oh, ce sont simplement des vœux de réussite, c’est mon grand-père qui les a faits… »
Alors là tu te dis : « Oui, là, il y a du ki dedans ! »
Bien sûr, ce n’était pas une calligraphie d’enseignement, ce n’était pas non plus une calligraphie esthétique, mais ce sont les vœux d’un grand-père pour ses petits enfants qui allaient ouvrir un restaurant en France. Et donc c’était chargé !
C’est tout cela aussi qu’on peut découvrir dans la calligraphie : à un moment donné, ça nous parle. On ne comprend pas toujours ce que ça veut dire mais on le sent. »
Image: Calligraphie de Maître Tsuda, Le Rêve