Ki no Nagare : la visualisation

Une fois n’est pas coutume, nous vous proposons aujourd’hui de découvrir un article de Régis Soavi dans un magazine payant. Cet article est paru dans la revue Yashima numéro 16 de juillet 2022, que vous pouvez trouver encore en vente en version digitale à 7€

 

Dans son enseignement, Tsuda Itsuo senseï insistait sur la visualisation qui, liée à la respiration, est un moyen de découvrir ce chemin de ki no nagare, l’écoulement du ki. Respiration et visualisation sont des outils permettant d’approfondir la perception de cette circulation et de profiter de ses bienfaits dans la vie quotidienne.

Imagination ou visualisation

L’imagination n’engendre pas de résultat tangible si ce n’est la désillusion, la déception quand on retourne à la réalité. La visualisation quant à elle, n’est pas un processus mental, une sorte de vagabondage de l’esprit, mais engage tout le corps. Peu de gens font la différence avant d’avoir fait l’expérience des deux procédés de façon bien séparée et d’en avoir vérifié la réalité. La visualisation est à la fois action et non action, anticipation et attente du moment opportun, elle nécessite la plus grande détente ainsi que la plus grande concentration, mais n’éprouve aucune difficulté à les trouver car pour cela elle s’appuie sur le socle ressenti de l’unité vécue.

À travers un art comme l’Aïkido, on peut expérimenter très concrètement et finement cette sensation de ki no nagare

Ki no nagare : un océan d’interactions

Chaque culture développe sa propre compréhension du monde, sa propre philosophie. Notre culture occidentale a développé durant des siècles une approche analytique, qui amène à une grande précision et un souci du détail. Cette approche intéressante est bien visible dans la science et la technologie mais aussi dans les arts martiaux. Cette recherche de précision est aussi ce qui pousse l’être humain à se dépasser, à devenir meilleur dans sa discipline, comme certains pratiquants de haut niveau nous l’ont déjà démontré. Alors il ne s’agit pas seulement du détail dans le geste, mais aussi de la compréhension du fonctionnement de l’humain, de ses ressorts tant physiques que psychologiques. Bien qu’importante et nécessaire c’est en même temps cette direction qui, quand elle devient exclusive, nous empêche de rejoindre l’unité, si le détail et le contrôle deviennent trop présents, on perd l’ensemble et notamment la perception de l’écoulement du ki.
D’autres, comme la culture japonaise, ont aussi un grand souci du détail mais ont gardé plus présente une certaine conception des liens du vivant et donc de la globalité. Le biologiste Marc-André Selosse propose dans son livre Jamais seul un changement de perspective sur ce sujet : on a aujourd’hui élargi la compréhension du vivant avec les notions de phénotypes étendus ou  »holobiontes ». Mais M.-A. Selosse va plus loin encore, disant qu’on peut considérer le monde comme un océan de microbes où  »flottent » des structures plus grandes et pluricellulaires (plantes, animaux), et aussi avoir la vision de l’écologue d’un océan d’interactions où « Chaque  »organisme » (c’est aussi vrai de chaque microbe) est un nœud dans un colossal réseau d’interactions. L’écologue voit le vivant comme ce réseau, où ce que nous appelons les organismes ne sont en fait que des points entre lesquels ces interactions s’articulent. » M.-A. Selosse remarque que c’est une vision du monde qu’ont déjà certaines cultures non occidentales, qui « ont une perception plus centrée sur les interactions et nous incorporent en un tout avec ce qui nous entoure. […] Il est peut-être temps de se débarrasser des avatars que projette l’individualisme occidental dans notre vision du monde biologique… et quotidien. La science occidentale a transposé une philosophie basée sur l’individu en une biologie basée sur l’organisme : au-delà des succès engrangés, la vraie rupture consisterait maintenant à redonner à l’interaction une place centrale. » (M.-A. Selosse, Jamais seul, 2017, Éd. Actes Sud, p. 329)
Ki no nagare qui se traduit par écoulement, circulation du ki, est peut être bien une façon de comprendre cet océan d’interactions. J’estime que l’essence de l’Aïkido se trouve dans la compréhension physique, tangible de cette notion d’écoulement du ki. Car même une toute petite rivière peut donner une orientation différente à un fleuve. Qui est à l’origine du changement, qui agit sur l’autre ? Il faut parfois des années, voire des siècles avant de résoudre une telle question.

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