Six Interviews de Itsuo Tsuda « La respiration philosophie vivante » par André Libioulle diffusées sur France Culture dans les années 1980.
Voici la transcription de la première émission sur six.
Q. : L’École de la Respiration a été créée par Itsuo Tsuda à Paris en 1973. Le mot école n’est d’ailleurs pas tout à fait adéquat et Maître Tsuda n’a jamais eu l’intention d’y donner un enseignement fermé et exclusif. Ses vues, au contraire, restent entièrement ouvertes. Il s’intéresse à d’autres disciplines respiratoires et surtout au domaine de la pensée en rapport avec la respiration.
L’École de la Respiration est matériellement un “Dojo”, cet espace particulier en Orient, qui désigne moins le lieu matériel lui-même, que l’espace énergétique. […] Certes le mouvement est l’affaire de chacun, il est à rechercher dans l’espace intérieur propre à chacun. Cependant il est créé à travers un certain état de relaxation et à travers toute une ambiance propice à la méditation. C’est pourquoi il est recommandé entre autres de pratiquer le Mouvement Régénérateur les yeux fermés. Espace spirituel plus que physique, le dojo n’est donc pas une école au sens habituel, Itsuo Tsuda ?
I.T. : Ce n’est pas une école comme on l’entend d’ordinaire. Comme j’ai écrit et publié des livres sous le nom de “École de la Respiration”, j’ai appliqué ce mot à cette association. Cette association est autonome par rapport à moi. Moi je suis invité, je ne suis pas le patron et dans la mesure où l’association a besoin de ma présence, j’accepte, à condition que les membres fassent eux-mêmes cette recherche personnelle. Moi je ne suis pas là comme patron qui donne des ordres, ça il faut bien le comprendre.
Q. : C’est une “école” entre guillemets qui est ouverte à tout le monde. On y pratique le Mouvement Régénérateur “sans connaissance, sans technique et sans but”. Alors c’est un petit peu paradoxal pour une école quand même ?
I.T. : Oui. Eh bien, il faut qu’on soit bien motivé. Autrement nous refusons. Par exemple des gens qui demandent la thérapeutique, etc., ou qui viennent avec d’autres intentions, nous refusons. Ce que nous faisons, c’est l’exercice de l’extrapyramidal, c’est tout. Seulement on ne peut pas tout d’un coup se mettre dans le bain, n’est-ce pas, on ne sait pas ce que c’est. Quand je fais le stage, je commence par expliquer la chose. Non pas expliquer le système extrapyramidal d’une façon anatomique, mais par rapport à la vie qu’on mène dans le contexte occidental, et de les ramener dans un autre contexte qui est naturel. Ce qui ne veut pas dire que je suis contre l’occidentalisation, c’est une chose irréversible. Le Japon est maintenant occidentalisé. Mais tout en acceptant ce conditionnement, on peut si on est bien décidé, si on est bien motivé, sortir de là et respirer librement et se sentir bien rempli, bien libre.
Q. : Imaginez quelqu’un qui rentre à l’École de la Respiration, alors, qu’est-ce qu’il peut s’attendre à faire, comment concrètement, pratiquement, vont se passer les choses ?
I.T. : Ils arrivent et ils se mettent à peu près dans un cercle et je commence à faire une sorte de causerie. Et il y a des gens qui n’y comprennent rien du tout. Au début c’est presque tout le monde. Mais il y en a qui sont attirés, qui restent. Mais ils ont la tête remplie de questions à poser. Et je refuse de répondre. Je dis : « Attendez un an, minimum, ou deux ans si possible ». Au bout d’un an ou deux, l’organisme change, évolue et puis ils ne savent plus quoi dire et les questions se sont évaporées.
Q : Les gens qui se présentent ne sont pas des gens malades, je veux dire ce sont des gens qui ont simplement un besoin d’évolution personnelle, un besoin de se sentir mieux dans leur peau, habituellement.
I.T. : Enfin, les motivations sont diverses. Mais ce que je demande, c’est la pratique sans but. Il y a un psychiatre qui a été attiré justement parce que c’est marqué “sans but”, parce que lui il connaît par sa propre expérience que c’est une chose extrêmement importante. Mais pour les autres ça n’a aucun sens, faire une pratique sans but c’est complètement… dingue ! Ça c’est une condition que j’ai exigée. Sans cela les gens viennent me demander un tas de choses et ils n’arrivent nulle part, ils se cognent la tête contre le mur.
Q. : Donc à partir d’un certain moment, les gens ne se posent plus de questions. Alors qu’est-ce qui s’est passé en eux, qu’est ce qui a changé, pour que tout à coup toutes les questions intellectuelles se soient résolues ?
I.T. : Eh bien l’organisme a évolué, les sensations ont évolué, alors on ne voit pas la même chose avec la même optique. Avant de commencer, telle chose est importante, il faut absolument que je lui pose des questions. Mais après un an ou deux, ça devient tellement évident qu’ils n’ont plus besoin de poser des questions.
Q. : Mais dans un premier stade, il y a une pratique respiratoire, il y a des mouvements préparatoires à un autre mouvement plus fondamental que vous appelez le Mouvement Régénérateur. Alors comment se passe la préparation ?
I.T. : À vrai dire on n’a besoin d’aucune préparation, si on est sensible et qu’on n’est pas très compliqué. Mais la vie moderne ne nous permet pas d’être toujours simple, alors c’est pour ça qu’il faut un peu de stimuli pour y conduire. On n’a pas besoin de mémoire, c’est une chose qui surgit de l’intérieur, ça vient tout seul.
Q. : Donc c’est plutôt une réaction disons immédiate, spontanée de la personne, et chacun a une réaction particulière, chacun a une réaction organique singulière, qui lui est propre.
I.T. : On ne peut pas faire un modèle de Mouvement Régénérateur, chaque individu a son mouvement et le mouvement du même individu diffère tous les jours. C’est ce qu’ils vont découvrir eux-mêmes. La difficulté c’est que les gens arrivent avec une tête toute remplie d’imagination et c’est pour s’en débarrasser que c’est tout un problème. Ils connaissent trente-six mille méthodes, qu’ils mélangent avec le Mouvement Régénérateur et qui dénaturent tout. Je surveille pour que les gens ne mélangent pas tout, c’est ça la plus grande difficulté.
Q. : Au départ, il semble que les gens aient le plus de mal simplement à sentir, à vivre en contact avec leurs sensations. Le Mouvement Régénérateur c’est cela qu’il apporte.
I.T. : Les gens disent : « On n’est plus au moyen âge ». Eh bien quelle différence y-a-t-il entre le moyen âge et maintenant ? On met neuf mois de temps pour la gestation, c’est pareil. Seulement, au moyen âge il n’y a eu ni radio ni télévision. C’est seulement les moyens qui ont changé. Mais l’organisme au contraire s’est affaibli. Il y a nombre de gens qui ne sont ni tout à fait vivants, ni tout à fait morts. Ils sont dans le clair obscur sans sensation. Ce que nous faisons ce n’est pas d’ajouter quelque chose en plus, mais “retour à la source”, qui nous permet de vraiment sentir ce qui se passe tous les jours, à chaque moment. C’est ça qu’on a complètement laissé dans la négligence. On ne fait que programmer, planifier, en vue de ce qui se passe dans un an, dans trois ans, etc. Mais, qu’est-ce que vous faites, qu’est-ce que vous sentez maintenant ? On ne sait pas.
Q. : Maître Tsuda, les gens qui viennent vers vous viennent parce qu’ils ont un besoin, disons d’évolution personnelle. Mais les gens viennent pour un travail sur eux-mêmes et ils viennent avec des tendances corporelles spontanées. Vous avez précisé dans plusieurs de vos ouvrages une notion qui est celle de “taiheki”.
I.T. : C’est une notion qui est assez difficile à expliquer aussi. Dans nos vies modernes, l’activité du corps se spécialise de plus en plus. Il y en a qui ont besoin de la vue, de l’ouïe, de la tête, etc. Les sportifs ont besoin de leurs muscles. À cause de cette spécialisation on est plus ou moins déformé. Il y a la canalisation de l’énergie qui se spécialise. On ne peut pas, tout d’un coup, changer de direction. On est toujours sur le même canal.
Q. : Vous avez parlé de polarisation de l’énergie…
I.T. : … Oui polarisation si vous voulez, canalisation. Et on croit pouvoir contrôler tout ça mais c’est justement difficile. C’est pour ça qu’on a besoin de normaliser le terrain, pour qu’on ait la possibilité d’utiliser tous nos pions, si vous voulez. Par exemple, il y a une femme qui m’a dit qu’avant de faire le mouvement, elle ne savait pas si elle avait les pieds chauds ou froids, il lui fallait se déchausser, puis toucher avec la main : ah ! effectivement j’ai les pieds chauds ou froids. Mais maintenant elle n’a plus besoin, elle sent directement. La sensation ne travaille pas, chez la plupart des gens.
Q. : La plupart des gens sont désensibilisés…
I.T. : … désensibilisés soit aux pieds soit aux jambes, etc.
Q. : Et en étant désensibilisés, les gens sont coupés d’eux-mêmes.
I.T. : Oui, ils sont morcelés, ils sont compartimentés. Ils voient le monde à travers cette perspective très très rétrécie.
Q. : Votre désir c’est de mettre les gens en contact avec eux mêmes, avec leurs sensations et par là même avec ce “ki”, cette notion qui échappe aux concepts et qui est une notion mouvante, qualitative et non pas quantitative. La vérité de la science est une chose quantitative, la vérité du mouvement est une vérité toujours particulière, toujours concrète.
I.T. : On vient au monde, sans connaissance, sans aucune explication. Comment se fait-il qu’un nouveau-né puisse transformer le lait blanc en caca jaune. Il n’a aucune connaissance. Eh bien, à ce moment-là justement l’absence de connaissance permet de tout faire fonctionner. Il faudrait qu’on y arrive. Seulement avec les adultes, le problème se situe autrement, parce qu’on ne peut pas imiter le bébé. S’il y a un tas de choses qui surgissent à la surface du conscient c’est justement pour ça qu’on est dans l’état de “Cœur de ciel pur”. Quand on est très occupé on n’y pense même pas. Ça c’est le retour à la source, qui est différent de ce qui se passe chez le nouveau-né.
Q. : Est-ce que les gens qui viennent chez vous, plus tard vont devenir des praticiens du Mouvement Régénérateur, ou bien est-ce-qu’il s’agit simplement d’une pratique qu’ils suivent pour leur propre bien-être ?
I.T. : Ça, tout dépend d’eux, n’est-ce pas, moi je ne dis rien. S’ils veulent faire, ils font, c’est tout. Mais si les gens ne sont pas bien motivés, ça s’écrase tout seul. Et s’ils sont vraiment bien motivés, petit à petit ils voient l’horizon s’ouvrir. Alors jusqu’où ils vont, pour le moment je ne peux rien dire.