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Rendre l’impossible possible

Interview de Régis Soavi

Pourquoi avez-vous commencé l’Aïkido ?

J’ai commencé le Judo-jujitsu, comme on l’appelait à ce moment-là, en 1962 et notre professeur nous le présentait comme « la voie de la souplesse », l’utilisation de la force de l’adversaire. J’avais presque douze ans et j’adorais les techniques, le déséquilibre, les chutes qui pouvaient être aussi un dépassement de la technique subie. Notre instructeur nous parlait du hara, de la posture et nous savions que lui-même apprenait l’Aïkido et qu’il avait le grade de « jupe noire », ce qui était pour nous très impressionnant. Les événements de 68 m’ont orienté vers des techniques de combat de rue, de kobudo, et des tactiques différentes. Cependant en 1972 j’ai voulu reprendre le judo, et je me suis inscrit rue de la Montagne-Sainte-Geneviève chez Plée senseï, on pouvait pratiquer le Judo le Karaté ou l’Aïkido pour le prix d’une seule cotisation, c’était idéal pour s’entraîner. Mais le judo avait changé : les catégories de poids, le travail d’un spécial afin de gagner un combat, j’étais très déçu. Un soir après la séance je suis resté pour regarder l’Aïkido, c’était Maroteaux senseï qui conduisait la séance et j’ai tout de suite été conquis.

Régis Soavi, début au Judo en 1964.

Pourquoi continuer ?

J’ai trouvé dans l’Aïkido bien plus qu’un art, une « Voie » d’une très grande richesse qui comme toute voie n’a besoin que d’être approfondie. Chaque jour la séance me permet de découvrir un aspect, de sentir que l’on peut aller beaucoup plus loin, que je ne suis qu’au bord de quelque chose de plus vaste, comme si un océan se présentait à moi. Au-delà du plaisir que j’éprouve, il me semble important de témoigner de son existence.
Quel aspect vous parle le plus : martial, mystique, santé, spiritualité ?
Il n’y a aucune séparation pour moi entre toutes ces choses, elles sont interdépendantes.
Pourquoi vous créez des dojos plutôt que pratiquer dans des gymnases ?
Je comprends votre question, ce serait tellement plus simple d’utiliser les structures existantes, rien à faire, même pas de ménage, tout serait pris en charge par la direction. On aurait la possibilité de râler si ce n’est pas assez propre, de réclamer si quelque chose ne va pas, de toute façon nous ne serions que des passants temporaires. A contrario pour moi le dojo a une importance cruciale. Déjà parce que c’est un lieu dédié et donc il permet une ambiance différente, libérée des contraintes des administrations, un endroit où on se sent chez soi, où on a la liberté de s’organiser comme on veut, où on est responsable de tout ce qui se passe. C’est grâce à cette mise en situation que l’on peut comprendre ce qu’est un dojo, cela change la donne, cela permet une pratique qui va au-delà de l’entraînement et porte les individus vers l’autonomie, la responsabilité. Mais la raison principale est que le lieu se charge du point de vue du KI, au même titre qu’une vieille demeure, un théâtre ancien ou certains temples. Cette charge permet de sentir qu’un autre monde est possible, même au sein de celui dans lequel nous évoluons.

Vous avez créé plusieurs dojos mais aussi d’autres lieux dès les années 80. Le Jardin Floréal, un lieu pour les enfants, puis plusieurs ateliers de peinture , ainsi qu’une école de musique La musique Buissonnière. Pourquoi tous ces lieux ? Qu’ont-ils en commun ?

Mon désir a toujours été de favoriser la liberté des corps comme des esprits dans le but qu’ils soient enfin réunis. Ce travail, pour être mené à bien, exige une vision très large sans aucune idéologie, en dehors des systèmes abrutissants, en dehors de la compétition, toujours à la recherche d’une part de la sensibilité, qui semble être devenue une maladie ou une tare dans notre société, et d’autre part et entre autres de la spontanéité. Créer un jardin d’enfants pour permettre les bases d’une éducation dans la liberté favorisant par là même la non-scolarisation, des « ateliers de peinture-expression »(1) dans l’esprit du travail d’Arno Stern qui soient des bulles, qui libèrent l’être humain de la sclérose névrotique qui l’entoure, donner la possibilité pour des adultes et des enfants de se passionner pour la musique, notamment classique, grâce à une notation « la musique en clair »(2) qui permet de jouer immédiatement et de découvrir ce plaisir de jouer sans subir la rigidification du mental et du corps organisée par les spécialistes du solfège et de l’enseignement musical en général. Tout cela toujours au service de l’être humain, de la possibilité d’un développement harmonieux des corps et des esprits.

créer un dojo, impossible ?
Régis Soavi enseigne tous les matins depuis plus de quarante ans. Dojo Tenshin, Paris

Vous cultivez une place de non-maître, n’est-ce pas ? En étant à la fois le senseï, celui qui indique le chemin, celui qui endosse la responsabilité de l’enseignement, et à la fois un membre ordinaire de l’association, qui participe aux tâches quotidiennes et se préoccupe autant du chauffage que d’une fuite ou du bricolage.

Je vois que vous avez très bien saisi mon positionnement. Cette attitude est une nécessité pour moi, il n’est pas question que je me perde, abusé par un pouvoir factice que j’aurais acquis en profitant de subterfuges et de faux-semblants mais qui flatterait mon ego. Ma recherche dans cette direction est issue du Non-Faire et concerne tous les aspects de ma vie, elle est ancienne, à la fois longue et hasardeuse car « sans repères fixes » comme l’écrivait Tsuda senseï. Cette orientation est un instrument, un outil indispensable pour permettre aux membres des associations de cheminer vers leur propre liberté, leur propre autonomie à travers l’activité au dojo. Pour résumer ma pensée, je voudrais citer un philosophe du 19e siècle que j’apprécie depuis très longtemps et dont l’importance m’a toujours semblé sous-évaluée dans notre société. « Pas un individu ne peut reconnaître sa propre humanité, ni par conséquent la réaliser dans la vie, si ce n’est en la reconnaissant dans les autres et en coopérant à sa réalisation pour les autres. Aucun homme ne peut s’émanciper s’il n’émancipe avec lui tous les hommes qui l’entourent. Ma liberté est la liberté de tous, puisque je ne suis réellement libre, libre non seulement en idée mais en fait, que quand ma liberté et mon droit trouvent leur confirmation et leur sanction dans la liberté et le droit de tous les hommes, mes égaux. »(3)

Comment était Tsuda Itsuo et qu’est-ce qui vous a marqué chez lui ?

C’était un homme d’une grande simplicité et en même temps d’une grande finesse. Le fait qu’il parlait aussi parfaitement le français, qu’il l’écrivait, nous permettait une communication que je ne pouvais trouver nulle part ailleurs avec un maître japonais. C’était aussi un intellectuel dans le meilleur sens du terme, sa connaissance de l’Orient comme de l’Occident lui a permis de faire passer un certain type de message, par rapport au corps et à la liberté de pensée, notamment dans ses livres, qui reste aujourd’hui encore inégalé. Il avait rencontré Ueshiba Morihei en 1955 comme traducteur de Nocquet senseï et commença à pratiquer en 1959 alors qu’il avait déjà quarante-cinq ans. Il fut son élève pendant dix ans, mais comme il était par ailleurs déjà pratiquant de Seitai et qu’il traduisait pour les étrangers français et américains les propos d’O senseï, il a pu saisir la profondeur de ses paroles ainsi que l’importance de la posture, de l’esprit, et surtout de la respiration (du Ki) dans la première partie de l’Aïkido, ce qui semble aujourd’hui oublié – à ma grande tristesse.

Tsuda Itsuo avec Regis Soavi en 1980, Paris.

Comment trouver l’équilibre entre enseignement et pratique personnelle ?

Je pratique tout simplement l’Aïkido depuis cinquante ans, chaque matin à 6h45 pendant une heure et demie et cela 365 jours par an. Bien sûr, je pratique aussi le Katsugen Undo (que Tsuda senseï avait traduit par Mouvement Régénérateur) là aussi – je pourrais dire – tous les jours, ne serait-ce que, au minimum, à travers le bain chaud Seitai(4). Quand à l’enseignement, j’ai des stages à peu près une fois par mois, que ce soit à Paris, Toulouse, Milan, ou Rome.

Y a-t-il eu des évolutions dans votre pratique ou votre enseignement ?

Bien sûr ! comment pourrait-il en être autrement ? Si on s’exerce sincèrement la pratique s’étend à tous les aspects de notre vie, j’ai du mal à comprendre les personnes qui ont abandonné ou vont chercher d’autres arts car elles trouvent l’Aïkido répétitif. La vie lorsqu’elle est pleinement vécue est-elle répétitive ? Chaque instant de ma pratique provoque des changements, des évolutions, et même des bouleversements qui m’ont amené à des remises en cause, des approfondissements. C’est ce qui provoque en moi la joie dans ma pratique de l’Aïkido. Même les moments les plus difficiles, et peut-être ceux-là plus que d’autres, ont été les vecteurs de transformations et d’enrichissements.

Votre maître, Tsuda Itsuo vous a, un jour, donné un koan, n’est-ce pas ?

Oui, mais j’ai du mal à en raconter les circonstances exactes. Je dois d’abord vous expliquer que Tsuda senseï savait parler au subconscient des personnes, chaque fois qu’il le faisait c’était une manière de leur donner un coup de main mais il n’en parlait quasiment jamais. Il disait que Noguchi senseï le faisait couramment car cela fait partie des techniques Seitai. Un jour, suite à une discussion il me dit « Bon courage », phrase somme toute assez banale, mais le ton qu’il utilisa en s’appuyant évidemment en plus sur « l’intermission respiratoire » me bouleversa et me fit réagir, me donnant une force intérieure que je ne soupçonnais pas. Une autre fois ce fut plus important car c’est à ce moment-là qu’il me donna le koan. Alors que je lui racontais mes difficultés par rapport au travail (comment gagner de quoi vivre pour ma famille et moi, etc.) et comment trouver le moyen de continuer à pratiquer, voire à monter un dojo puisque j’allais quitter Paris pour quelques années et que je serais à 800 kms, il commença par m’expliquer que dans l’école de Zen Rinzai (je venais de lire les Entretiens de Lin Tsi et il le savait) le maître donne à ses disciples des koans qu’ils doivent résoudre. Brusquement il me dit « Impossible » « voila c’est pour vous » ! puis il partit rapidement, me laissant cloué sur place, interloqué, complètement ébahi. Je dois dire que j’ai tout d’abord trouvé cela absurde, ridicule, il m’avait déjà donné quelques temps auparavant une direction pour ma pratique en choisissant de façon précise la calligraphie MU(5) comme cadeau de la part de mes élèves parisiens. Mais là, j’étais choqué, je ne comprenais pas. Mu me semblait un vrai koan, déjà connu, répertorié, acceptable, mais « impossible » ça n’avait pas de sens. Pourquoi me dire ça à moi ? C’est au fil des années que la « réponse » est apparue comme une évidence.

Quelle est la place du Katsugen Undo dans votre pratique ?

Oh ! il a une importance de premier plan, mais, pour vous répondre, voici une anecdote. Nous étions au restaurant avec Tsuda senseï, et Noguchi Hirochika – le premier fils de Noguchi senseï – qui était assis à coté de moi me demanda soudain : « Le Katsugen Undo, qu’est-ce que c’est pour vous ? ». Ma réponse fut aussi immédiate que spontanée : « C’est le minimum » ai-je répondu, et depuis je n’ai pas changé d’opinion. Cette réponse avait beaucoup plu à Tsuda senseï et il l’utilisa dans certaines de ses conférences pendant les stages. Le « minimum » pour maintenir l’équilibre, pour permettre que notre système involontaire fonctionne correctement et ainsi que l’on n’ait plus besoin de se préoccuper de sa santé, de ne plus avoir peur de la maladie.

Noguchi Hirochika avec Régis Soavi Paris 1981.

Pour vous, un Aïkido sans Katsugen Undo a-t-il un sens ?

Oui bien sûr, malgré tout, cela dépend de la manière dont on pratique. Il est simplement dommage de ne pas profiter de ce qui peut nous rendre indépendant, de ce qui peut réveiller notre intuition, notre attention, notre capacité de concentration et libérer notre mental.

Cela fait de nombreuses années que vous contribuez à Dragon Magazine. Qu’est-ce que cela vous apporte ?

Cela me permet de faire passer un message et en même temps cela me contraint à ce qu’il soit le plus clair possible par rapport à l’enseignement de mon maître Tsuda senseï, et donc à notre école. C’est aussi une manière de sortir de l’ombre tout en restant dans la simplicité, sans faire de la publicité ou du tapage. Le fait de lire régulièrement les articles de mes contemporains ainsi que des jeunes enseignants m’apporte beaucoup et me permet de voir et de comprendre les différentes directions vers lesquelles va l’Aïkido et leurs raisons d’être, même lorsque je ne les approuve pas.

L’écriture est-elle importante dans le Budo ?

L’écriture est toujours importante car c’est une des bases de la communication – « les paroles s’envolent mais les écrits restent ». Cependant, sans une pratique réelle cela risque de demeurer dans le domaine des idées et ne satisfaire que l’intellect, dans ce cas la cible est manquée.

D’autres maîtres vous ont-ils également marqué ?

J’ai la chance d’appartenir à une époque ou il était possible de rencontrer un grand nombre de senseï de la première génération. Les années 70 étaient très riches de ce point de vue, nous courions de stages en stages pour nous former, à l’écoute attentive de leurs paroles de leurs postures pour tirer le meilleur de ce que chacun d’entre eux apportait. Toute ma reconnaissance va donc à tous ceux qui m’ont enseigné, mon maître Tsuda Itsuo senseï, Noro Masamichi senseï, Tamura Nobuyoshi senseï, Nocquet André senseï, ainsi qu’à ceux que j’ai eu l’occasion de rencontrer. Je préfère les citer par ordre alphabétique afin de ne rien suggérer par rapport à l’importance qu’ils ont eu sur ma pratique : Hikitsuchi Michio senseï, Kobayashi Hirokazu senseï, Shirata Rinjiro senseï, Sugano Seiichi senseï, Ueshiba Kisshomaru senseï, ainsi que – bien que je n’aie jamais pratiqué le Karaté – Kasé Taiji senseï, ou Mochizuki Hiroo senseï que j’ai croisés grâce à Tsuda senseï et qui m’ont marqué. Je n’oublie pas Maroteau Rolland senseï qui fut mon premier enseignant d’Aïkido et qui m’a permis de rencontrer celui qui fut mon principal mentor : Tsuda Itsuo senseï.

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Article publié dans Self et Dragon Spécial n°13 en avril 2023.
Notes :
1) Appelés aujourd’hui « ateliers du jeu de peindre »
2) Pédagogie de M. Jacques Greys (1929-2019) pianiste.
3) Mikhail Bakounine (1814-1876), philosophe anarchiste.
4) Revue Yashima, N°13, octobre 2021.
5) « rien » ou « non-existence », terme utilisé dans le taoïsme pour exprimer la vacuité

#3 La respiration, philosophie vivante

respiration philosophie vivanteRetrouvez ici le troisième entretien des six interviews de Itsuo Tsuda « La respiration philosophie vivante » par André Libioulle diffusées sur France Culture dans les années 1980. A écouter ou à lire :

 

 

 

 

ÉMISSION N° 3

Q. : La France, vous la connaissez bien, vous avez travaillé, avant les années quarante, avec deux personnages extrêmement importants : Marcel Granet et Marcel Mauss. Alors que Marcel Granet était sinologue, Marcel Mauss était sociologue. Quels ont été les moments importants que vous avez vécus avec eux ?

I.T. : J’ai suivi, pendant cinq ans, le cours de ces savants, et ça m’a permis d’avoir une ouverture sur des aspects inconnus de la société occidentale. Mauss s’occupait de sociologie des peuples, chez les Polynésiens, etc. Il avait une optique très très profonde dans les choses, et il a constaté des choses qu’il appelait des phénomènes totaux, n’est-ce pas. Tandis que dans les sociétés occidentales c’est toujours analytique, rationnel, etc.

Q. : C’est ça, c’est dans la rencontre de l’idée de globalité.

I.T. : Oui… et puis, Granet m’a donné aussi la possibilité de voir la société chinoise ancienne, et avec une perspective très très différente de ce qu’on fait d’ordinaire : transformer tout, avec les raisonnements occidentaux.

Q. : Après cette période française, après cette période parisienne, vous rentrez au Japon, et là, nouvelles rencontres absolument décisives, celles de Maître Ueshiba, le créateur de l’Aïkido, et celle de Maître Noguchi.

I.T. : Maître Noguchi, m’a permis de voir les choses d’une façon très concrète. À travers ces manifestations de chaque individu, il est possible de voir ce qui agit à l’intérieur. C’est une approche tout à fait différente de l’approche analytique : la tête, le cœur, les organes digestifs, chacun prend dans sa spécialité et puis, le corps d’un côté, le psychique de l’autre, n’est-ce pas. Eh bien, il a permis de voir l’homme, c’est à dire l’individu concret, dans sa totalité, voilà.

Q. : Donc là, vous travaillez avec Maître Noguchi, vous travaillez aussi avec Maître Ueshiba pendant plusieurs années.

I.T. : Avec Maître Ueshiba, j’ai travaillé pendant dix ans avant de venir en France. Eh bien, il m’a donné la possibilité autre que… l’individu enfermé dans la peau. J’ai visité les États‑Unis, et puis j’ai essayé de voir les possibilités, ce que j’allais faire. J’ai commencé par écrire, et puis petit à petit ça a pris forme.

Q. : Je crois que “Le Non-Faire” a été publié en 1973. C’est le premier ouvrage que vous publiez. Alors vous revenez en France à peu près vers quelle période ?

I.T. : 1970.

Itsuo Tsuda, respiration
Itsuo Tsuda, vers 1970. Photo de Eva Rotgold

Q. : Et là vous décidez alors de créer l’École de la Respiration. Alors, “l’École de la Respiration”, voilà un terme un petit peu singulier. Est-ce que vous pouvez nous dire pourquoi une école. Finalement, ce n’est certainement pas une école au sens traditionnel du mot ?

I.T. : Non, pas du tout (rire). C’est le seul nom que j’ai pu trouver, pour faire comprendre aux gens qu’il y a toute une… chose derrière la respiration. Pour les gens qui ne sont pas initiés, la respiration c’est le travail des poumons. Mais là, le mot respiration prend une extension de plus en plus grande, n’est-ce pas…

Q. : Oui, alors à l’École de la Respiration on pratique le Mouvement régénérateur. Alors vous avez décrit le Mouvement régénérateur (Katsugen undo) comme un exercice du système moteur extra-pyramidal.

I.T. : Oui. Le Mouvement régénérateur n’est pas une discipline comme on l’entend d’ordinaire.

Q. : Le mot extra-pyramidal n’est peut être pas immédiatement compréhensible par ceux qui nous écoutent. Mais enfin, le terme lui-même, “extra-pyramidal” désigne en somme une zone cérébrale, par rapport à une autre qui est considérée comme le siège du mouvement volontaire.

I.T. : Oui. Chez les humains, il existe deux zones motrices, n’est-ce pas. Une, c’est le système moteur pyramidal, qui est la source de tout mouvement volontaire. Ça on l’apprend dans les écoles, comme l’entrecroisement des systèmes nerveux, etc.

Q. : c’est un terme de physiologie…

I.T. : … oui, c’est ça. Mais on a longtemps négligé l’extra-pyramidal, qui seconde ce système volontaire, parce que on a peur de sortir du système volontaire, et justement, Maître Noguchi a commencé à le faire. Eh bien lui-même, quand il a commencé, il était un peu surpris : c’est que le corps se met à bouger tout seul. Lorsqu’on croit que tout le corps obéit à notre volonté, c’est quand même étrange, n’est-ce pas ? Mais, à vrai dire, nous ne contrôlons pas tous les mouvements du corps. Si c’était indispensable, comment ferait-on pendant qu’on dort ?

Q. : Il y a toute une zone de notre activité qui est couverte par le volontaire. Mais le volontaire ne concerne pas toute notre activité. Il y a une zone qui échappe à l’emprise de cette volonté.

I.T. : Il y a un médecin japonais qui dit que le mouvement volontaire n’occupe que trois pour cent de la totalité de notre mouvement corporel. Mais pour Noguchi, il n’y a rien qui soit volontaire. Ça c’est (rire) vraiment fort.

Q. : En somme, l’action de l’extra-pyramidal vient se superposer en quelque sorte à l’action du pyramidal.

I.T. : Oui.

Q. : Vous avez précisé que le Mouvement régénérateur existe sous deux formes…

I.T. : … oui…

Q. : … d’une part chez tous les individus comme forme de réaction naturelle de l’organisme. C’est par exemple le bâillement, c’est l’éternuement, c’est l’agitation pendant le sommeil. Et puis il y a une autre forme, qui a été mise au point il y a à peu près cinquante ans par Maître Noguchi. Maître Noguchi, il faut préciser qu’il est le créateur de la méthode dite “Seitai”.

I.T. : C’est par un pur hasard qu’il s’est lancé dans cette carrière : c’est le grand tremblement de terre de 1924 qui a sévi dans toute la région de Tokyo. Il avait douze ans à cette époque. Il s’intéressait beaucoup à ce genre de choses, il s’amusait avec. Mais, toute la région était dévastée, et puis il y avait des gens qui, sans abri, rôdaient un peu partout, et puis la diarrhée s’est propagée, etc. Il a vu une femme voisine, qui était accroupie, qui souffrait énormément. Alors il s’est précipité sur elle, simplement, il a appliqué sa main…

Q. : … appliqué la main sur la colonne vertébrale…

I.T. : … et puis elle dit : « merci mon petit », enfin, elle a souri. Ça c’est le point de départ de sa carrière. Dès le lendemain il y avait des gens qui venaient le voir. Alors depuis, il n’a pas pu quitter cette voie. C’est ce que nous pratiquons maintenant sous le nom de “yuki” : on met la main sur la colonne vertébrale ou sur la tête, et puis, on expire par la main, voilà. Eh bien quand on voit ça, ça n’a rien d’extraordinaire. Seulement, à mesure que l’attention s’y concentre, on sent que ça agit à l’intérieur.

Q. : Et donc là, yuki c’est un des éléments de la technique mise au point par Maître Noguchi. Il y a une chose qui m’étonne un petit peu dans la technique que vous décrivez, c’est que le Seitai, vous le précisez, est une technique qui sert à provoquer le spontané. C’est peut-être un petit peu paradoxal ?

I.T. : Le Seitai, c’est un mot qui a été créé par Noguchi plus tard. Au début, par la force des choses il est devenu simplement… un guérisseur. Il faisait la thérapeutique. Mais, aux environs de 1950, par là, il a quitté cette notion de guérison, de thérapeutique, il a rejeté tout ça, et il a créé la notion de “Seitai”, c’est-à-dire terrain normalisé. Lorsque le terrain se normalise, tous les problèmes disparaissent d’eux-mêmes.

Q. : le Mouvement régénérateur, on pourrait peut-être provisoirement le résumer par deux éléments importants : exercice du système moteur extra-pyramidal. Cet exercice n’est pas véritablement une technique. D’ailleurs vous précisez : « à l’École de la Respiration l’on travaille sans connaissance, sans technique et sans but ». Et alors, second élément important, le Mouvement régénérateur est un mouvement spontané qui existe virtuellement en tous les individus, et on ne peut pas dire que le mouvement est provoqué, il se déclenche chez les individus.

Fin de l’entretien numéro 3, pour écouter l’entretien numéro 4 :

 

Seitai | La séance de Katsugen undo #6

Dans cette 6ème partie, Régis Soavi nous décrit une séance de Katsugen undo (traduit par Mouvement régénérateur)

Subtitles available in French, English, Italian and Spanish. To activate the subtitles, click on this icon. Then click on the icon to select the subtitle language.

Quelques informations complémentaires :

Le Seitai a été mis au point par Haruchika Noguchi (1911-1976) au Japon. Le Katsugen Undo (ou Mouvement régénérateur) est un exercice du système moteur extrapyramidal faisant partie du SeitaiItsuo Tsuda (1914-1984) qui introduisit le Katsugen Undo en Europe dans les années 70 en disait «Le corps humain est doué d’une faculté naturelle qui réajuste sa condition. Cette faculté […] est du ressort du système moteur extra-pyramidal »

Extraits de la vidéo :

C’est la simplicité même. On veut toujours rajouter plein de choses parce que quand c’est trop simple on a l’impression que ça ne marche pas.

On va proposer aux personnes de faire deux, trois exercices. Un exercice qui va détendre la région de plexus solaire. Là, on expire, bien à fond. C’est comme une sorte de bâillement artificiel. Donc c’est un exercice volontaire. Un bâillement en quelque sorte artificiel. On détend la région du plexus solaire.

Un des deuxièmes exercices que l’on fait, par exemple pour le déclenchement du mouvement individuel, ce serait « rotation de la colonne ». Eh bien là, il s’agit de retrouver un peu de souplesse. Je vois les personnes aujourd’hui avec le vieillissement des corps, la colonne est complètement bloquée, ils n’arrivent plus à se tourner. Ils sont obligés de tourner tout le corps pour regarder derrière eux. Alors qu’il suffirait de tourner la colonne. Mais bien souvent, même des fois à trente ans, la colonne vertébrale est bloquée. Donc c’est un exercice qui détend le corps. Ça c’est le deuxième exercice.

Et le troisième exercice, qui est un peu plus compliqué, il s’agit de mettre les pouces à l’intérieur des poings fermés et de tirer le tout en arrière. Bon. Difficile de faire voir comme ça, il faut quand même avoir quelqu’un qui nous le montre de manière plus précise. C’est pour ça qu’il y a des stages organisés. Ça c’est pour le mouvement individuel.

Et ensuite, qu’est-ce qu’on fait ? Rien ! On fait rien. On laisse le corps déclencher le mouvement. Si on fait le mouvement individuel, c’est très simple. On peut le faire partout. Ça peut être très discret. Il ne s’agit pas de commencer à avoir des hurlements… Ce n’est pas quelque chose qui est très visible. C’est extrêmement discret. Il n’y a pas de bruit pendant une séance de mouvement. Parfois il y a des légers bruits, presque rien. Donc ça c’est le mouvement individuel.

Et puis dans les dojos, en semaine, c’est-à-dire deux ou trois fois par semaine, ça dépend des dojos, on pratique le mouvement mutuel. Alors là on fait simplement l’exercice au plexus et on rajoute quelques exercices de concentration, comme la respiration par les mains, Yuki, la chaîne d’activation, tout cela pour permettre que les corps soient bien prêts à laisser le mouvement se déclencher. Mais par contre le déclenchement du mouvement lui-même se fera par une activation des deuxièmes points de la tête. Je ne peux pas faire une démonstration comme ça. Par une activation des deuxièmes points de la tête, en quelque sorte, le système volontaire va se mettre au repos. Et c’est le système involontaire qui va conduire, qui va diriger.

Alors qu’est-ce que ça veut dire ? ça veut pas dire que d’un seul coup on est décervelé et qu’on ne comprend plus rien. Quand par exemple on mange, c’est le système digestif qui d’un seul coup, alors qu’il était tranquille, qu’il ne faisait rien, d’un seul coup le système digestif se met à s’activer. Et il y a toute sorte de sucs gastriques qui arrivent, l’estomac se met en branle, les intestins travaillent plus, etc. C’est pas pour ça qu’on ne pense plus. Au mieux on a un peu une espèce de somnolence. La somnolence qui vient quand il y a la digestion, ou qu’on a bien mangé, on est un peu … ah voilà. Parce que le système involontaire digestif s’est activé. C’est pas parce que ce système digestif s’est activé qu’il n’y a plus rien d’autre. Là aussi, lorsqu’on fait le mouvement régénérateur, le mouvement volontaire est au repos, on n’y pense plus, on ferme les yeux, on laisse le corps bouger en fonction de ses besoins.

Et là, le corps, parce qu’il est dans l’involontaire, va pouvoir faire des choses que d’habitude il ne fait pas, ou qu’il a un peu laissé tomber. Et donc là il se met à bouger. C’est pour ça qu’on le fait dans un dojo, il fait des choses qui peuvent paraître parfois incongrues. Par exemple faire des mouvements de ce genre, si vous faites ça dans le métro, les gens peuvent se dire « Ohlàlà, celui-là il est un peu bizarre… ». Et là au dojo, justement, on est tranquille, on a les yeux fermés, personne ne nous regarde, c’est un peu comme quand on est à la maison. Le mouvement tel qu’il se passe au dojo, c’est un entraînement. C’est un entraînement, on dit souvent, du système moteur extra-pyramidal, mais pas seulement. C’est un entraînement parce que les corps se sont affaiblis, parce qu’on a du mal à réagir, donc on se ré-entraîne. C’est un peu comme quelqu’un qui ne marche plus. A un moment donné, le moindre pas est difficile : passer de la cuisine à la salle de bains lui est difficile. Donc à partir du moment où il va recommencer à marcher, son corps va recommencer à fonctionner mieux. Là, c’est la même chose pour le mouvement involontaire.

Et à un moment donné, bien sûr, comme c’est un entraînement, c’est dans un temps donné. Il faut aussi que ce temps à un moment donné on l’arrête. C’est-à-dire que dans la séance on a fait les entraînements, on laisse le mouvement se déclencher, puis on arrête le mouvement. Là encore il y a un exercice très similaire au premier individuel pour arrêter le mouvement. On arrête le mouvement. Là on reste allongé quelques minutes. Et on revient, on reprend le système volontaire qui va de nouveau agir.

Donc on a laissé le mouvement individuel agir complètement comme il avait besoin, tout seul, pendant un certain temps, et puis ensuite on revient à notre vie quotidienne, tout à fait normale. Et donc, le corps maintenant va retrouver des capacités de l’involontaire. On laissera justement plus qu’avant l’involontaire travailler dans la vie quotidienne. Parce que le corps va dire « tiens, là j’ai besoin » et il va susciter un autre type de travail. Donc là encore, il y a des exercices qui permettent un entraînement du système involontaire et puis ensuite c’est la vie quotidienne. On n’est pas tout le temps dans l’involontaire. On va travailler, on fait un tas de choses avec le volontaire. Mais comme l’involontaire travaille par en-dessous, le corps reste normal.

Régis Soavi

Superficialité ou approfondissement

Dans cet article à partir d’un hexagramme du Yi Jing (Tsing : Le puits), Régis Soavi nous parle des pratiques de l’Aïkido et du Mouvement régénérateur comme des instruments de recherche et d’approfondissement de sois-même.

Le dojo est, par essence, le puits où viennent se nourrir les pratiquants d’arts martiaux à la recherche de la Voie, du Tao. À l’opposé du ring ou du gymnase, il offre un lieu de paix nécessaire, voire indispensable, pour l’approfondissement des valeurs humaines.dojo le puits

Nous vivons aujourd’hui à la vitesse de la lumière. La communication n’a jamais été aussi rapide. Les ondes chargées de bits et micro-bits circulent en boucle autour de notre planète, porteuses de plus d’informations que notre cerveau n’en peut stocker. Les réseaux sociaux ont remplacé la connaissance par un vernis superficiel qui peut sembler suffisamment apte à satisfaire notre apparence sociétale. Si dans les années soixante les membres de l’Internationale situationniste fustigeaient les pseudo-intellectuels qui se nourrissaient auprès des revues comme Le Nouvel Observateur ou l’Express pour alimenter leurs conversations mondaines ou leurs écrits, que diraient-ils de la démocratisation proposée à tout un chacun pour devenir le nouveau Monsieur Jourdain du Bourgeois Gentilhomme de Molière ? Mieux vaut connaître un peu de tout plutôt que d’approfondir quoi que ce soit, telle semble bien être la devise de notre époque.

Dans les arts martiaux la tendance semble aller dans la même direction. Nombreuses sont les personnes qui sont intéressées par les images spectaculaires retransmises par les médias où l’on présente les capacités fictives d’acteurs martiaux, au demeurant fort habiles dans leur métier, mais où la recherche est principalement le rendu superficiel ainsi que commercial.

L’image du puits dans l’ancienne Chine devrait nous faire nous interroger sur les tendances qui gouvernent notre vie de tous les jours. Si l’on tirait l’eau du puits à l’aide d’un seau et d’une perche, c’est bien la répétition d’un tel acte qui permettait la vie du village, et la nourriture prodiguée était considérée comme inépuisable. Et si nous prenions exemple sur cette image ancienne ?

Quand on pratique un Art comme l’Aïkido il ne s’agit pas d’accumuler des techniques sans cesse plus nombreuses, ni de répéter béatement l’enseignement prodigué, mais plutôt de commencer une recherche, de se réorienter vers quelque chose de plus profond afin d’abandonner le superficiel, le superflu, qui nous a tant déçus et que l’on ne supporte plus.

Régis Soavi Aikido

Bon nombre de personnes qui au départ sont extrêmement enthousiastes de commencer un vrai travail avec leur corps, se lassent de la répétition, bien trop souvent scolaire, ou encore se laissent fourvoyer par la dernière mode. On voit ainsi des gens qui collectionnent les méthodes et passent d’un art à l’autre, du Yoga au Taï-chi, du Karaté à la Capoeira, pensant parfois que l’un d’eux est supérieur à l’autre comme l’explique si bien un youtuber à la mode qui fait l’actualité comme ça lui chante.

Face à tous ces personnages qui ne vivent que pour influencer leurs followers et gagnent leur vie sur leurs dos grâce au nombre de « like » et à la publicité qu’ils engendrent, ne serait-il pas temps de chercher au fond de soi-même ? De prendre le temps de réfléchir plutôt que de consommer passivement la réflexion d’un autre ? De bouger son propre corps pour retrouver une harmonie perdue plutôt que de chercher dans le virtuel un complément à la routine issue de la pauvreté du quotidien ?

Le dojo en tant que lieu de recherche possède toutes les caractéristiques du puits : c’est à la fois un lieu pour l’entraînement, car on y puise chaque jour, et en même temps (et peut-être plus) c’est un lieu de convivialité où le social se débarrasse de ce qui l’empêche d’être vrai c’est-à-dire d’être le plus proche possible de la nature profonde des individus. Un lieu où la sociabilité échappe aux conventions, un lieu où l’on peut se parler, entrer physiquement en contact avec l’autre de façon simple, avec toutes les difficultés que cela peut représenter pour celui ou celle qui n’est pas prêt ou prête.

Toute l’arduité réside dans le fait de ne pas rester en superficie de la pratique, de ne pas se contenter de surfer sur un océan d’images devenues virtuelles ou de barboter sur le rivage et cela si possible sans se mouiller trop, mais de s’imprégner de ce que l’on y trouve, de lâcher ce qui nous encombre de manière à en explorer les profondeurs.

Mon Maître Itsuo Tsuda dans son livre Le Non-faire* nous donne avec simplicité, un aperçu de sa propre recherche et du travail qu’il avait engagé en Europe.

Itsuo Tsuda aikido

« Que suis-je à côté de la grandeur de l’Amour cosmique de Me Ueshiba, de la technique du Non-Faire de Me Noguchi, ou du raffinement insondable de Me Kanzé Kasetsu, acteur du théâtre Noh ? Je les ai connus tous les trois ; deux sont morts, seul Me Noguchi est en vie [Haruchika Noguchi meurt en 1976]. Leur influence continue de travailler en moi. Ce sont là des maîtres par nature. Moi, je suis simplement un être qui commence à se réveiller, qui cherche et évolue.
Une extraordinaire continuité d’efforts soutenus caractérise les œuvres de ces maîtres. J’ai l’impression de trouver dans un terrain aride, des puits d’une profondeur exceptionnelle. Là où s’arrête le travail de catégorisation n’est que leur point de départ. Ils y ont percé bien au-delà. Ils ont atteint les veines d’eau, la source de la vie.

Cependant, ces puits ne communiquent pas entre eux, bien que ce soit la même eau qu’on y trouve. La tâche qui m’incombe, est d’y dresser une carte géographique, d’y trouver un langage commun. »

Ce langage, Itsuo Tsuda le trouvera dans l’art de l’écriture (il se définissait lui-même comme écrivain-philosophe, comme en témoigne sa stèle funéraire au Père Lachaise), dans l’enseignement d’une certaine forme de l’Aïkido fondée sur la respiration et l’approfondissement de la sensation du Ki, enfin en faisant connaître le Katsugen undo (mouvement régénérateur). À travers son travail, son œuvre écrite, son enseignement, il réussira à créer un pont entre l’Orient et l’Occident.

Ce qui guette le pratiquant d’arts martiaux et ce plus particulièrement en Aïkido est l’ennui dû à la répétition, à la recherche de l’efficacité, au fait de peaufiner la technique, et tout cela au détriment de la profondeur de l’art, ainsi que de la culture qui le sous-tend. De fait, notre époque n’est plus soumise aux mêmes impératifs que les siècles derniers, s’il est toujours utile de pouvoir réagir en cas d’agression ou de difficultés, ce qui sera déterminant est plus la force intérieure et le réveil de l’instinct, que la capacité de combat. L’Aïkido demeure une pratique du corps, où la rigueur, la dynamique, le savoir-faire, ont une importance capitale, mais son aspect philosophique est loin d’être négligeable. Cet aspect n’est en rien contradictoire, bien au contraire, un de mes anciens maîtres Masamichi Noro l’avait bien compris lui-même lorsqu’il créa cet art nouveau qu’est le Ki no Michi (la voie du Ki) à la fin des années soixante-dix. La recherche dans l’Aïkido est quelque chose de difficile et peut même être pernicieuse parfois, car s’il ne s’agit pas de s’affronter avec d’autres combattants, ce n’est pas non plus de la méditation ni de la danse, et je peux dire cela car j’ai un immense respect pour ces arts, là encore les puits sont différents, mais la recherche va dans la même direction.

Aller chercher du côté du développement des capacités humaines, de la culture au-delà du connu, se remettre en question et questionner les idées du monde, avancer pour faire avancer notre société. Sortir peut-être enfin un jour de la barbarie et de l’obscurantisme. Il nous suffit de relire la conférence de Umberto Eco** sur comment l’être humain se construit des ennemis pour comprendre que nous avons plus que jamais besoin de connaître l’autre pour mieux le comprendre.

L’Aïkido en tant qu’Art du Non-faire est une porte vers ce que nombre de personnes recherchent : la réalisation de soi-même, sans un ego démesuré, mais dans la simplicité, et avec le plaisir d’un vécu authentique.

Régis Soavi

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Notes :
* Itsuo Tsuda, Le Non-faire, Édition Le Courrier du Livre (Paris), 1973, p. 12
**Umberto Eco, Costruire il nemico e altri scritti occasionali, éd. Bompiani (Milano), 2011

Seitai l’unité du corps #5

Dans cette 5ème partie, Régis Soavi nous parle d’un principe central dans la philosophie Seitai : l’unité du corps.

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Quelques informations complémentaires :

Le Seitai a été mis au point par Haruchika Noguchi (1911-1976) au Japon. Le Katsugen Undo (ou Mouvement régénérateur) est un exercice du système moteur extrapyramidal faisant partie du SeitaiItsuo Tsuda (1914-1984) qui introduisit le Katsugen Undo en Europe dans les années 70 en disait «Le corps humain est doué d’une faculté naturelle qui réajuste sa condition. Cette faculté […] est du ressort du système moteur extra-pyramidal »

Extraits de la vidéo :

« La tendance actuelle c’est qu’il y a toutes sortes de programmes prévus où les personnes vous donnent des choses à faire, que ce soient des gymnastiques, que ce soient des nourritures, ou des jeûnes… toutes sortes de manipulations mentales, exercices mentaux ou autres pour que les personnes aillent bien.

Mais en fait, l’être humain est complètement différent. Parfois il suffit d’une toute petite chose pour que tout aille mieux ou que tout aille mal. Parfois rien qu’un chiffre, un chiffre peut déterminer complètement la qualité de votre vie. Si vous voyez par exemple -4000 euros sur votre compte en banque, d’un seul coup… « Ha ! », le cœur peut s’arrêter. C’est ridicule. Comment est-ce qu’un cœur peut s’arrêter parce qu’il a vu un chiffre ? C’est absurde. Et pourtant, c’est comme ça.

Donc ce qui compte, à mon avis, c’est l’harmonie du corps. C’est un équilibre qu’on va trouver, toujours pareil. Chaque fois qu’on va parler du Seitai, chaque fois qu’on va parler de ce qui se passe par rapport au mouvement régénérateur, etc., il faut penser en terme d’équilibre. L’être humain, c’est ça, c’est un équilibre. Il est pas séparé. Bien sûr, s’il y a un problème grave dans une partie du corps, l’être, l’individu est déséquilibré, mais il ne va pas seulement souffrir de cette partie du corps. Il souffre dans tout son corps. Donc là encore, c’est l’équilibre qui est déterminant. »

Seitai

Les principes seitai, qu’on peut même qualifier de « philosophie seitai » ‒ manière de voir, de penser le monde ‒ furent élaborés par Haruchika Noguchi (1911-1976) dans la première moitié du vingtième siècle. Pour résumer brièvement (!) le Seitai est une « méthode » ou une « philosophie » qui englobe le Seitai sōhō, les Taisō, le Katsugen undō, le Katsugen sōhō, et le Yukihō. Des pratiques qui se complètent, s’interpénètrent, et constituent l’ampleur de la pensée Seitai de Haruchika Noguchi. On peut aussi citer l’étude des Taiheki (tendances posturales), l’utilisation du bain chaud, l’éducation du subconscient, l’importance de la naissance, de la maladie et de la mort…
Un art de vivre du début à la fin.

Aujourd’hui malheureusement le terme « Seitai » est galvaudé et désigne tout et n’importe quoi. Certains praticiens de thérapies manuelles se réclament trop facilement du Seitai (Itsuo Tsuda disait qu’il fallait vingt ans pour former un technicien au Seitai sōhō !). Quand aux charlatans qui proposent de vous transformer en quelques séances…, n’en parlons pas ! L’amplitude de l’art de vivre, la compréhension globale de l’Homme dans le Seitai semblent bien loin. S’il ne reste qu’une technique à appliquer sur des patients, l’essentiel est perdu. S’il ne reste du Katsugen undō qu’un moment pour se « ressourcer », l’essentiel est perdu.

Haruchika Noguchi et Itsuo Tsuda allèrent tout deux beaucoup plus loin que cela dans leur compréhension de l’Homme. Et les graines qu’ils ont semées, les indices qu’ils ont laissés pour que les êtres humains puissent évoluer sont importants. Peut-on alors parler d’une voie, du Seitai-dō (道 dō/tao) ? Car il s’agit d’un changement de point de vue radical, d’un bouleversement, d’un horizon totalement différent qui s’ouvre.

Reprenons le fil de l’histoire…

La rencontre avec Haruchika Noguchi : l’individu dans sa totalité

Itsuo Tsuda rencontra Haruchika Noguchi aux alentours de 1950. C’est l’approche de l’être humain telle que proposée dans le Seitai qui l’intéressa de suite. L’acuité de l’observation des individus pris dans leur globalité/complexité indivisible que Itsuo Tsuda découvrit chez Noguchi s’inscrivait dans le prolongement de ce qui avait retenu son intérêt lors de ses études en France auprès de Marcel Mauss (anthropologue) et Marcel Granet (sinologue). Itsuo Tsuda commença alors à suivre l’enseignement de Noguchi et ce pendant plus de vingt ans. Il eut le sixième dan de Seitai.

« Maître Noguchi, m’a permis de voir les choses d’une façon très concrète. À travers ces manifestations de chaque individu, il est possible de voir ce qui agit à l’intérieur. C’est une approche tout à fait différente de l’approche analytique : la tête, le cœur, les organes digestifs, chacun prend dans sa spécialité et puis, le corps d’un côté, le psychique de l’autre, n’est-ce pas. Eh bien, il a permis de voir l’homme, c’est-à-dire l’individu concret, dans sa totalité. »1

La maladie conçue comme un facteur d’équilibre

D’autant que c’est précisément dans les années cinquante que Haruchika Noguchi, qui avait découvert très tôt ses capacités de guérisseur, décidait de renoncer à la thérapeutique. Il créa alors la notion de Seitai, c’est-à-dire de « terrain normalisé ».

« Le mot « terrain » étant entendu comme l’ensemble qui constitue l’individu, le psychique et le physique, tandis qu’en Occident on divise toujours en psychique, et puis physique. »2

Le changement d’optique vis-à-vis de la maladie fut décisif dans cette réorientation de Noguchi.

« La maladie est une chose naturelle, c’est un effort de l’organisme qui tente de récupérer l’équilibre perdu. […] Il est bon que la maladie existe, mais il faut que les hommes se libèrent de son assujettissement, de son esclavage. C’est ainsi que Noguchi est arrivé à concevoir la notion de Seitai, la normalisation du terrain, si on veut. On ne s’occupe pas des maladies, il est inutile de guérir. Si on normalise le terrain, les maladies disparaissent d’elles-mêmes. Et de plus, on devient plus vigoureux qu’avant. Adieu la thérapeutique. Finie la lutte contre les maladies. »3

Itsuo Tsuda. Photo de Eva Rodgold©
Yuki. Itsuo Tsuda. Photo de Eva Rodgold©
Un chemin vers l’autonomie

L’abandon de la thérapeutique va aussi de pair avec le désir de sortir des rapports de dépendance qui lient le patient au thérapeute. Noguchi souhaitait permettre aux individus la prise de conscience de leurs capacités ignorées, les réveiller au plein épanouissement de leur être. Durant les vingt années où ils se côtoyèrent les deux hommes passèrent de longs moments à parler philosophie, art etc., et Noguchi trouva dans la vaste culture de l’intellectuel qu’était Tsuda de quoi nourrir et élargir ses observations et réflexions personnelles. Un rapport d’enrichissement mutuel se construisit ainsi entre eux.

Itsuo Tsuda fut rédacteur à la revue Zensei, publiée par l’Institut Seitai et il participa activement aux études menées par Noguchi sur les Taiheki (tendances posturale). Comme le rapporte un texte de Haruchika Noguchi publié dans la revue Zensei de janvier 1978, c’est Itsuo Tsuda qui avança l’hypothèse ‒ validée par Noguchi ‒ que le type neuf « bassin fermé », soit l’archétype de l’être primitif.4

La mise au point du Katsugen undō par Noguchi intéressa particulièrement Itsuo Tsuda, qui saisit d’emblée l’importance de cet outil, notamment en ce qui concerne la possibilité de permettre aux individus de retrouver leur autonomie, de ne plus avoir besoin de dépendre d’aucun spécialiste. Bien que conscient et admiratif de la précision et de la portée profonde de la technique du Seitai sōhō, Tsuda considéra que la diffusion du Katsugen undō était plus importante que l’enseignement de la technique. Aussi fut-il à l’initiative des groupes de Mouvement régénérateur (Katsugen kai) qui se constituaient un peu partout au Japon.

Conférence d'Itsuo Tsuda. Photo de Eva Rodgold©
Conférence d’Itsuo Tsuda. Photo de Eva Rodgold©

Itsuo Tsuda a privilégié la diffusion du Katsugen undō en Europe comme porte d’entrée vers le Seitai.

Aujourd’hui, même au Japon, le Seitai sōhō a pris une orientation qui le rapproche d’une thérapie. Un problème : une technique à appliquer. Le Katsugen undō devient une sorte de gymnastique « light » de bien-être, de détente. On est loin du réveil du vivant, de la capacité autonome du corps à réagir dont il est question dans le Seitai de Haruchika Noguchi.

L’exercice de yuki, qui est l’alpha et l’oméga du Seitai, se pratique à chaque séance de Katsugen undō. Ainsi, bien que Tsuda n’ait pas enseigné la technique du Seitai sōhō, il en a transmis l’essence, l’acte le plus simple, cette « non-technique » qu’est yuki. Celle qui nous sert tous les jours, celle qui sensibilise progressivement les mains, le corps. Cette sensation physique, réelle, expérimentable par tous, est aujourd’hui trop souvent considérée comme une technique spéciale, réservée à une élite. On oublie que c’est un acte humain et instinctif. La pratique du Katsugen undō mutuel (avec un partenaire) se perd aussi, même dans les groupes ayant suivit l’enseignement de Tsuda. Quel dommage ! Car à travers le yuki et le Katsugen undō mutuel, le corps redécouvre les sensations, celles qui ne passent pas par l’analyse mentale. Ce dialogue dans le silence, qui nous fait découvrir l’autre de l’intérieur et qui nous ramène donc à nous-mêmes, à notre être intérieur. Yuki et le Katsugen undō sont pour nous des outils indispensables, préconisés par Haruchika Noguchi, pour cheminer vers un « terrain normal ».

Mais le temps passe et les choses se déforment, comme les paroles de sagesse de certains deviennent des oppressions religieuses… Petit à petit le Katsugen undō n’est plus qu’un moment pour se « ressourcer », se détendre et surtout ne rien changer à sa vie, à sa stabilité. Le Seitai, une méthode pour maigrir après l’accouchement… Alors qu’il s’agit d’une orientation de la vie, d’une pensée globale. Le pas immense que fit Haruchika Noguchi en sortant de l’idée de thérapeutique est une avancée majeure dans l’histoire de l’humanité. Sa compréhension globale de l’individu, la sensibilité au ki, retrouver suffisamment de sensibilité, de centre en soi-même pour écouter son propre corps et agir librement.

Il ne s’agit même pas d’opposition entre des méthodes, des théories, des civilisations. Il s’agit purement et simplement d’évolution de l’humanité.

Manon Soavi

Notes :

  1. Itsuo Tsuda, Interview sur France Culture, Maître Tsuda s’explique sur le Mouvement régénérateur, émission N° 3, début des années 1980.
  2. Itsuo Tsuda, Interview sur France Culture, op. cité, émission N° 4, début des années 1980.
  3. Itsuo Tsuda, Le Dialogue du Silence, Paris, Le Courrier du Livre, 2006 (1979), pp. 64-65
  4. Sur le sujet des Taiheki, consulter Itsuo Tsuda, Le Non-Faire, Le Courrier du Livre (1973)

Voir Aussi :

  1. Pratique du Katsugen undō
  2. biographie d’Itsuo Tsuda
  3. biographie de Haruchika Noguchi

Seitai et Vie quotidienne #4

En quoi la pratique du katsugen undo a-t-elle de l’importance dans notre vie ? Régis Soavi répond brièvement et donne un aperçu de l’impact que peut avoir l’orientation Seitai sur la vie quotidienne de l’individu.

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Quelques informations complémentaires :

Le Seitai a été mis au point par Haruchika Noguchi (1911-1976) au Japon. Le Katsugen Undo (ou Mouvement régénérateur) est un exercice du système moteur extrapyramidal faisant partie du SeitaiItsuo Tsuda (1914-1984) qui introduisit le Katsugen Undo en Europe dans les années 70 en disait «Le corps humain est doué d’une faculté naturelle qui réajuste sa condition. Cette faculté […] est du ressort du système moteur extra-pyramidal »

Extraits de la vidéo :

« On ne voit plus les choses de la même façon. Évidement, le rapport à la maladie change complètement. Quand on a compris que la maladie est une réponse du corps, la maladie en tant que symptôme est une réponse du corps, eh bien on accepte les symptômes et on traverse la maladie. Ça change tout. On n’est plus dépendant du docteur, du thérapeute, on n’a plus besoin de ça. On s’aperçoit qu’il y a plein de choses qui se normalisent. Avant on avait toujours mal ici, toujours mal là, on avait du mal à digérer, on n’arrivait pas à dormir – et là voilà, petit à petit, ça disparaît.
Ça ne veut pas dire qu’après on est une élite… une élite super… non, pas du tout ! Mais quand on a de petits problèmes qui surviennent, ils sont évacués plus vite. Donc au niveau de la santé, on réagit plus vite. Notre système immunitaire travaille plus vite. Les réactions cutanées sont plus rapides. Les réactions digestives sont plus rapides. Notre esprit aussi, il s’ouvre. On ne voit plus les choses de la même façon. Et il y a des choses qui ne nous paraissent plus acceptables. On ne peut plus accepter qu’on traite les enfants comme de petits animaux, ou les femmes, ou les étrangers, … Il y a quelque chose en nous qui…change. On n’est plus le même. Notre conception de la vie change. C’est pour ça que les personnes, au bout d’un certain temps, qui nous ont connu avant, nous regardent, nous disent « tiens c’est marrant, t’as changé… » Ils ne savent pas dire, vraiment…  Eh bien oui, on a changé. On n’a pas changé. On s’est retrouvé, c’est tout. On s’est retrouvé à l’intérieur. »

Yuki – Entretiens avec Régis Soavi #3

Suite des entretiens ou Régis Soavi, qui enseigne et initie les personnes au Katsugen Undo (Mouvement régénérateur) depuis quarante ans, revient à l’essentiel des thématiques autour du Seitai et du Katsugen Undo. Pour cette troisième vidéo, c’est la notion Yuki qui est abordée

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Le Seitai a été mis au point par Haruchika Noguchi (1911-1976) au Japon. Le Katsugen Undo (ou Mouvement régénérateur) est un exercice du système moteur extrapyramidal faisant partie du SeitaiItsuo Tsuda (1914-1984) qui introduisit le Katsugen Undo en Europe dans les années 70 en disait «Le corps humain est doué d’une faculté naturelle qui réajuste sa condition. Cette faculté […] est du ressort du système moteur extra-pyramidal »

Extraits de la vidéo sur Yuki

« Il y a le Yuki naturel. Le Yuki que les mamans font naturellement sur leur ventre. Il y a le Yuki naturel, très simple, quand on a un ami, une amie qui a une peine, on pose la main sur le dos, et ça c’est le Yuki naturel. Parfois on rajoute quelques mots.
Il y a le Yuki naturel, quand on a mal à la tête, on met la main. Si on a très mal à la tête, on met deux mains. Mais tout le monde ne met pas les mains là, justement. Il y a des gens qui mettent les mains comme ceci, il y en a qui les mettent comme ça, et ça c’est le Yuki naturel. C’est justement pour ça qu’on ne peut pas enseigner le Yuki, on ne peut pas dire « Si vous avez mal à la tête, mettez vos mains comme ça et faites Yuki, faites circuler le ki – Ah oui mais moi ça ne me convient pas. – Ah mais si, si, c’est la technique. – Moi quand j’ai mal à la tête je fais comme ça – Et moi je fais comme ça – Et moi je fais comme ça, voilà, là ça fait du bien »

Et puis il y a l’exercice de Yuki.
Alors l’exercice de Yuki, c’est un moment spécifique. On le fait à l’occasion des séances de Katsugen Undo. A un moment donné pendant cette séance il y a Yuki. Alors on se salue d’abord. Le salut entre deux personnes c’est la coordination de la respiration. Ensuite, un des deux se met le côté gauche tourné vers l’autre. Une main derrière, voyez, à hauteur des yeux, et une main devant. Alors la personne s’allonge, on met les mains sur son dos et on fait circuler le ki. Dans ce cas-là, c’est l’exercice pour retrouver Yuki. Pendant les séances de mouvement, ça dure 5 minutes, jusqu’à peut-être 8 minutes. On le fait tous ensemble. C’est à la fois un exercice qui permet de se sensibiliser soi-même, de sensibiliser l’autre. Ce n’est pas un apprentissage, c’est une découverte. On découvre et on approfondit.

Yuki c’est faire circuler le ki. Mais le ki n’a pas de forme. Eh ben là il prend une forme. Le ki n’a pas de forme, le ki c’est ambiance… c’est très vague la notion de ki. Mais là, parce qu’il y a un acte, il a une forme. Des gens veulent l’associer avec une énergie, on parle d’énergie vitale. Ça me plaît pas trop. Je n’aime pas trop ce terme. « Energie » on pense tout de suite à l’électricité, etc. Ou alors une énergie psychique qui jaillirait, etc. Et là il ne s’agit pas de ça.

Le Yuki c’est une expérience. C’est d’abord une expérience.

La première fois que j’ai rencontré Yuki, c’est parce que – je m’en souviens on était au bistro avec mon maître Itsuo Tsuda. C’était dans le début des années 70 et à l’occasion d’une discussion il a simplement posé sa main sur mon dos en disant « Yuki c’est ça ». Ça a tout changé. »

 

 

 

L’état de santé selon le Seitai #2

Suite des entretiens ou Régis Soavi, qui enseigne et initie les personnes au Katsugen Undo (Mouvement régénérateur) depuis quarante ans, revient  à l’essentiel des thématiques autour du Seitai et du Katsugen Undo. Pour cette deuxième vidéo, c’est la notion de santé selon le Seitai qui est abordée.

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Quelques informations complémentaires :

Le Seitai a été mis au point par Haruchika Noguchi (1911-1976) au Japon. Le Katsugen Undo (ou Mouvement régénérateur) est un exercice du système moteur extrapyramidal faisant partie du SeitaiItsuo Tsuda (1914-1984) qui introduisit le Katsugen Undo en Europe dans les années 70 en disait «Le corps humain est doué d’une faculté naturelle qui réajuste sa condition. Cette faculté […] est du ressort du système moteur extra-pyramidal »

Régis Soavi débute la pratique martiale par le Judo à l’âge de douze ans. Il étudie ensuite l’Aïkido, notamment auprès des maîtres Tamura, Nocquet et Noro. Il rencontre Tsuda Itsuo senseï en 1973 et le suivra jusqu’à son décès en 1984. Régis Soavi devient enseignant professionnel avec l’accord de ce dernier, et diffuse son Aïkido et le Katsugen Undo à travers l’Europe.

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Seitai et Katsugen Undo #1

Beaucoup de choses sont dites et circulent sur le web à propos du Seitai et du Katsugen Undo (ou Mouvement régénérateur). Dans cette série d’entretiens, Régis Soavi, qui enseigne et initie les personnes au Katsugen Undo depuis quarante ans, revient  à l’essentiel pour répondre à cette question « Qu’est-ce que le Seitai et le Katsugen Undo ? ».

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Quelques informations complémentaires :

Le Seitai a été mis au point par Haruchika Noguchi (1911-1976) au Japon. Le Katsugen Undo (ou Mouvement régénérateur) est un exercice du système moteur extrapyramidal faisant partie du Seitai.  Itsuo Tsuda (1914-1984) qui introduisit le Katsugen Undo en Europe dans les années 70 en disait «Le corps humain est doué d’une faculté naturelle qui réajuste sa condition. Cette faculté […] est du ressort du système moteur extra-pyramidal »

Régis Soavi débute la pratique martiale par le Judo à l’âge de douze ans. Il étudie ensuite l’Aïkido, notamment auprès des maîtres Tamura, Nocquet et Noro. Il rencontre Tsuda Itsuo senseï en 1973 et le suivra jusqu’à son décès en 1984. Régis Soavi devient enseignant professionnel avec l’accord de ce dernier, et diffuse son Aïkido et le Katsugen Undo à travers l’Europe.

Bonjour Maladie #2

Régis Soavi parle dans cette deuxième partie de la pratique de yuki, ou il est important de se vider la tête, de se débarrasser de l’idée de guérir les autres. Se vider de toutes intention.

Pour lire la partie 1  –> https://www.ecole-itsuo-tsuda.org/bonjour-maladie/

Partie #2 yuki

– Comment peut-on définir Yuki?

– Faire passer le ki.

– Comment yuki peut-il aider le déclenchement du mouvement?

– Cela aide dans la mesure où l’on a fait les trois exercices, ou bien les exercices pour le mouvement mutuel (l’activation par les deuxièmes points de la tête ; c’est une autre façon de déclencher le mouvement). Yuki aide parce qu’il active; c’est très important pour moi de dire que yuki est fondamentalement différent de ce dont généralement on entend parler parce que quand on fait yuki, on a la tête vide, on ne guérit personne, on ne cherche pas. On est seulement concentré dans cet acte. Il n’y a pas d’intention et cela est primordial. Dans les statuts du dojo, d’ailleurs, il est souligné que nous pratiquons « sans but ».

Lire la suite

#2 La respiration, philosophie vivante

respiration philosophie vivanteRetrouvez ici le deuxième entretien des Six Interviews de Itsuo Tsuda « La respiration philosophie vivante » par André Libioulle diffusées sur France Culture dans les années 1980.

 

 

 

 

ÉMISSION N° 2

Q. : Au cours de cette seconde semaine, nous allons revenir plus en détail sur les ouvrages publiés par Itsuo Tsuda. Ces ouvrages tous édités au “Courrier du Livre” à Paris sont actuellement au nombre de six : “Le Non-Faire”, “La Voie du Dépouillement”, “La Science du Particulier”, un ouvrage qui porte le titre “Un”, “Le Dialogue du Silence” et récemment “Le Triangle Instable”. Ils ont trait à la respiration et aux domaines de pensée en rapport avec elle. […]

L’Occident a séparé en concepts bien tranchés l’âme et le corps. Il a souvent aspiré à l’élévation de l’âme et il a souvent sous-estimé le corps, considéré comme lieu de tentation. Si pour Platon, l’âme est à l’étroit dans son enveloppe charnelle, prisonnière du corps, pour un homme comme Itsuo Tsuda il apparaît que c’est le corps qui est prisonnier de l’âme. Une âme qui manipule sans arrêt les abstractions et se coupe de l’élan vital. De plus en plus l’homme vit au niveau cérébral. Les espoirs de la société reposent sur l’exploitation intensive des capacités intellectuelles dans lesquelles elle voit le privilège de l’être humain. Mais cette hypertrophie cérébrale suscite un écart qui est source de déséquilibre entre les sensations, le corps comme vie, comme énergie, comme élan, et le monde construit, conceptualisé, cérébralisé. La respiration est unification, retour à soi et, si on relâche la séparation corps et âme, si l’âme cesse d’être une abstraction, alors elle est partout, elle est dans le corps aussi bien qu’en dehors.
Eh bien le “ki”, cette notion qu’on a un peu approchée dans les émissions précédentes, nous introduit à une pensée qui est celle de l’unité. C’est ce que nous allons essayer de comprendre maintenant. Il semble donc que le premier pas, Itsuo Tsuda, vers la compréhension du ki, ce soit reconnaître en nous la sensation. C’est à dire ne pas abstraire, ne pas s’imaginer vivre une sensation mais vraiment être réellement la sensation.

I.T. : Il y a un principe, qu’on reconnaît dans la médecine chinoise, c’est : la tête froide et les pieds chauds. Actuellement justement, le sens est renversé : la tête chaude et les pieds froids. On ne sent même pas les pieds. Et puis la tête s’échauffe de plus en plus. Il y a tout un facteur qui contribue à faire ça : c’est l’occidentalisation. Mais on ne peut pas rebrousser chemin. C’est une tendance qui date de longtemps. Et puis il y a des avantages évidents qui proviennent de l’occidentalisation. Mais seulement, si sur le plan matériel ça nous aide, cela nous met dans un état assez précaire sur le plan individuel. Les individus deviennent de plus en plus prisonniers de structures bien planifiées, ils ne peuvent plus se sentir vivre, eux-mêmes.

Q. : Les Européens d’ailleurs, vous l’écrivez, ont besoin de comprendre avant d’agir. Ils ne se lancent pas d’emblée dans une action.

I.T. : Ce que je fais justement, ce n’est pas de la même manière que ce qu’on fait au Japon. Souvent au Japon on n’explique pas, on se précipite tout de suite dans l’expérience, c’est à chacun de tirer la leçon, n’est-ce-pas. Eh bien, en occident ça ne marche pas. On a besoin de comprendre d’abord. Mais la compréhension ne suffit pas. J’ai beau expliquer devant des gens qui écoutent les explications sur la natation, ça ne permet pas de se plonger dans l’eau. Tant qu’on n’a pas senti le contact de l’eau, on peut remplir la tête avec toutes sortes d’explications, ça ne sert à rien.

Q. : Mais les gens vont peut-être vous argumenter : « mais à quoi ça me sert-il d’être en présence de mes sensations ? Qu’est‑ce que ça m’apporte ? »

I.T. : Eh bien, c’est la notion de “Seitai”, justement, que Noguchi a créée après la guerre. Pour le moment les gens pensent d’une façon dualiste : « voilà – il y a le bien, il y a le mal. Le mal il faut le combattre. Quand on aura combattu le mal, il nous restera le bien ». Mais en fait, nous ne cherchons pas de cette manière : nous normalisons le terrain. Ça c’est ce qu’il a appelé “Seitai” : l’organisme bien harmonisé. En occident on s’acharne à trouver la cause, on essaie d’exterminer la cause. Mais sitôt qu’on a fini avec une cause, il y en a d’autres qui surgissent. Mais ça c’est la méthode qui est conforme à la structure mentale. Mais Noguchi a apporté cette vue qui est tout à fait différente, qui transcende tout. Si votre organisme est normalisé, le même problème diminue d’importance. En occident on dit : il y a tel problème. Ça c’est défini, ça ne change pas de volume, ça reste là. Il faut attaquer de telle manière etc.

Q. : Donc il y a en somme pour l’occident une connaissance de type anatomique, de type discursive, dans laquelle on distingue la cause et les effets et en vue d’agir sur tel ou tel élément. La notion introduite par le Seitai est une notion différente. C’est la notion de sensation. Mais c’est une notion, si j’ai bien compris, dans laquelle la connaissance n’est pas exclue. Mais c’est une connaissance d’un autre type, c’est une connaissance intuitive, qualitative disons, par rapport à la notion de mesure ou de quantification occidentale.

I.T. : Le même problème augmente ou diminue d’importance selon la sensation. Une bouteille est moitié vide ou moitié pleine. Mais quantitativement c’est exactement pareil. Mais la sensation diffère, dans les deux cas. Alors il suffit d’un petit rien qui change la chose dans le comportement de l’homme. Si on se dit : « ça y est, je suis foutu », à partir de ce moment-là on ne peut plus avancer. Tandis que : « j’ai déjà fait trois pas en avant », alors on est prêt à faire un quatrième pas, n’est-ce pas.

Q. : Est-ce que vous ne pensez pas qu’il y a une notion qui est apportée par l’Occident, et qui est celle de la totalité ou de la globalité mais comprise comme un assemblage de parties ? Avec la qualité nous sommes aussi dans quelque chose de global, mais sans cette idée d’assemblage.

I.T. : Dans le Seitai, on ne regarde pas un individu comme un assemblage de diverses parties. Ça c’est l’idée fondamentale. Un individu c’est un individu, total, n’est-ce pas. Mais, chacun diffère, dans son mouvement, dans sa respiration, dans sa sensibilité. Voilà ce qui nous importe.

Q. : Vous avez parlé de Maître Noguchi à plusieurs reprises. Est-ce qu’on ne pourrait pas essayer de comprendre ce que c’est que la globalité, l’unité chez un individu à travers quelques exemples de la pratique de Maître Noguchi puisque Maître Noguchi était thérapeute. C’est lui qui est le créateur de cette méthode seitai. Alors, comment se présentait son travail ? Qu’est‑ce qui lui permettait d’appréhender des choses concrètes, spontanées ?

I.T. : Par exemple, chacun a sa vitesse biologique, qui détermine le comportement, les démarches, les mouvements etc. On l’envisage sous une forme tout à fait détachée, objective, tant par minute etc., etc., mais pour Noguchi, eh bien c’est une chose concrète. Tout provient de cette vitesse biologique qui est inhérente à l’individu. Sans cette notion de vitesse il ne peut rien faire. Mais cette…

Q. : … donc là, la notion de vitesse n’a rien à voir avec la notion de rapidité par exemple…

I.T. : … non, non…

Q. : … telle que nous la connaissons nous, c’est autre chose…

I.T. : Non. Il faut que le contact soit établi, avec la vitesse biologique de cette personne en particulier. Non pas appliquer une vitesse générale et objective. Eh bien par exemple, il y a un gosse qui arrive en criant, en pleurant parce qu’il s’est cassé un bras. Les parents disent : « C’est impossible de toucher, il pleure, il pleure… ». Mais Noguchi l’a déjà touché. « Ah, ah bon alors c’est parce qu’il n’ose pas crier devant le maître ». Non c’est pas ça. Il a touché, à la vitesse biologique, la vitesse de la respiration de l’enfant, qui lui est particulière. À ce moment-là, le gosse ne sent pas le contact, ça fait partie de lui, et c’est tellement important.

[lecture d’extraits des livres d’Itsuo Tsuda]

Q. : Vous avez écrit que Maître Noguchi pouvait dégager de l’individu par l’observation et par le toucher, quelque chose comme la notion d’un mouvement inconscient.

I.T. : Mais oui, pour lui, tous les mouvements sont cent pour cent inconscients. Nous croyons justement le contraire. Nous croyons être maîtres de nous-mêmes, alors que nous ne pouvons pas faire grand chose, et nous essayons de nous retenir, de composer devant les autres, etc. Et puis, un jour le frein lâche, et puis on se demande d’où ça vient. Pour Noguchi tout est inconscient, nous ne sommes pas maîtres de nous-mêmes.

Q. : Est-ce que Maître Noguchi faisait une distinction entre le mouvement inconscient et la posture…

I.T. : … mais la posture est la concrétisation du mouvement inconscient.

Q. : Donc la posture, elle est observable par tout un chacun… de l’extérieur, sans  préparation, alors que le mouvement inconscient lui, demande une préparation.

I.T. : La posture, si on l’imagine sous une forme militaire par exemple, “garde-à-vous” etc., alors tout le monde essaie de faire à peu près la même chose. Mais, lorsqu’on est au repos, chacun est différent.

Q. : Quelle relation y-a-t-il entre la respiration et le mouvement inconscient ?

I.T. : Il y en a qui ont la respiration coupée, par exemple. Alors à ce moment-là, la respiration monte de plus en plus haut. Maintenant, les gens respirent du haut des poumons et puis finalement quand on s’affaiblit on respire par le nez. Ce que nous faisons, c’est de faire descendre plus bas, hein, pour que nous puissions respirer du ventre, ou, si on veut, des pieds. Alors sans la pratique c’est difficile à expliquer.

Q. : La notion de respiration est une notion beaucoup plus vaste que celle de simple opération biochimique. La respiration c’est la vie, c’est le ki…, c’est le souffle, c’est l’âme…

I.T. : oui…

[Suite dans l’entretien 3]

Ecoutez les livres de Itsuo Tsuda #2

Partie #2 : Katsugen Undolecture livres itsuo tsuda

Le comédien, écrivain, Yan Allegret lit ici des extraits des livres d’Itsuo Tsuda, captés en direct  le samedi 8 février 2014, dans un salon de thé-librairie de Blois, le Liberthé.

« Le Mouvement régénérateur ne constitue pas un apport extérieur. Il trace le chemin pour la découverte de soi en profondeur. Ce chemin n’est pas en ligne droite vers le paradis, il est tortueux. » Itsuo Tsuda

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Haruchika Noguchi

Il naît à Ueno, un quartier de Tokyo, en septembre 1911. Tout commence à l’âge de trois ou quatre ans lorsqu’il est surpris d’avoir apaisé le mal de dent d’une personne, simplement en posant les mains sur elle. C’était un enfant, ses mains allaient vers la cible, sans qu’il se rende compte de ce qu’il faisait. Son premier exploit, il l’accomplit à douze ans, quand il obtient la guérison de ses voisins qui souffraient de dysenterie, après le grand tremblement de terre qui frappe la région de Tokyo, en 1923. Dès cet âge, il commence à recevoir des gens qui lui demandent d’être soignés. à l’époque il n’avait aucune connaissance, pas même élémentaire, en anatomie et en médecine. Adolescent, il commence à prendre conscience des conséquences de ses actes. Au début il croyait, comme cela arrive à presque tous les guérisseurs, qu’il avait un pouvoir exceptionnel qu’il était le seul à posséder. Il y trouve sa propre vocation mais ne s’arrête pas à ce stade, il continue. Il étudie en autodidacte toutes les méthodes thérapeutiques orientales et occidentales. à quinze ans, il ouvre un dojo à Iriya. à dix-sept ans, il formule Préceptes de la vie pleine (Zensei Kun), qui permet de mieux comprendre sa pensée. En 1930, il écrit les Réflexions sur la vie intégrale, un texte surprenant pour un jeune homme qui avait alors seulement dix-neuf ans.

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Genève, Katsugen Kai

Cet article raconte l’histoire du dojo de Genève (Katsugen Kai, groupe de mouvement régénérateur), on y retrouve en filigrane le parcours d’Itsuo Tsuda depuis ses premières années en Europe. Il a été UNE_ItsuoTsuda_geneve_groupepublié en avril 1987 dans le « journal du dojo ». Écrit par un des co-responsables du dojo, Sven Kunz, il est reproduit ici avec l’aimable autorisation de son auteur. L’article est précédé d’un extrait de lettres d’Itsuo Tsuda envoyées à Genève en 1975.

GuillemetLe travail, c’est ce qui nous permet d’avoir deux pieds sur terre.
Je ne prêche pas l’évasion, la démission. L’utopie n’existe nulle part, sauf là où l’on est.
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#1 La respiration, philosophie vivante

respiration philosophie vivanteSix Interviews de Itsuo Tsuda « La respiration philosophie vivante » par André Libioulle diffusées sur France Culture dans les années 1980.

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Chez le philosophe du ki #2

Suite et fin du reportage publié dans la revue Question de en 1975, réalisé par Claudine Brelet (anthropologue, experte internationale et femme de lettres française) auprès d’Itsuo Tsuda.

Partie #2Itsuo tsuda Katsugen undo philosophe du ki
Pourrait-on « fusionner » respiration et visualisation ?
– Effectivement, visualiser constitue l’un des aspects du Ki. La visualisation joue un rôle fondamental, primordial dans l’Aïkido. C’est un acte mental qui produit des effets physiques. La visualisation fait partie de l’aspect « attention » du Ki. Lorsque l’attention est localisée, arrêtée au poignet, par exemple, la respiration devient superficielle, perturbée… on oublie tout le reste du corps.Lire la suite

A la recherche du moment juste

L’écrivain et metteur en scène Yan Allegret s’intéresse depuis vingt ans à l’Aïkido et à la culture japonaise traditionnelle. Il a pratiqué dans différents clubs et dojos en France et au Japon, en s’intéressant à la notion de dojo : ce qui fait qu’un espace devient, à un moment «le lieu où l’on pratique la voie». Après sept années, il découvre un endroit particulier, niché au cœur du vingtième arrondissement parisien. À la découverte d’un dojo traditionnel à Paris : le dojo Tenshin de l’Ecole Itsuo Tsuda.

Cela se passe aux alentours de 6 heures du matin. Des gens sortent de chez eux et se dirigent vers un lieu. À pied. En voiture. En métro. Dehors, les rues de Paris sont encore ensommeillées, quasi-désertes. L’aube est proche. La séance d’Aïkido commence à 6H45. Le rythme de la ville est encore celui de la nuit. Ceux qui sont dehors n’ont pas revêtu les armures nécessaires à la journée de travail qui s’annonce. Quelque chose demeure en suspens. Avec la naissance du jour, on a l’impression de marcher dans un interstice.

C’est dans cet interstice qu’on trouve le dojo Tenshin de l’école Itsuo Tsuda. Dans ce lieu dédié à l’Aïkido et au Katsugen Undo, les séances sont quotidiennes. Tous les matins, la séance a lieu, quels que soient le temps, les week-end ou vacances, à l’exception du premier janvier, jour de la cérémonie de purification du dojo. L’aube influence la pratique. Cette porosité a été de tous temps prise en compte dans la tradition japonaise. Il suffit de relire le «Fushi Kaden» de Zeami*, créateur du théâtre Nô, pour comprendre à quel point les arts traditionnels ont été à l’affût du «moment juste» (prenant en compte l’heure, le temps, la température, la qualité du silence, etc.) pour parfaire leur art. En marchant vers le dojo à 6H30, on s’en rend compte. Pratiquer le matin crée un relief. L’esprit n’est pas encore assailli par les préoccupations de la vie sociale, familiale. Le mental n’a pas encore pris les commandes. On arrive comme une feuille blanche au 120 rue des Grands Champs.

L’association Tenshin existe depuis 1985 et s’est implantée ici depuis 1992. Elle fut fondée par un groupe de personnes désireuses de suivre l’enseignement d’Itsuo Tsuda, transmis par Régis Soavi. Itsuo Tsuda fut élève de Morihei Ueshiba et de Haruchika Noguchi (fondateurs de l’Aïkido et du Kastugen Undo). Le sensei actuel, Régis Soavi, fut quant à lui l’élève direct de Maître Tsuda. Le dojo n’est affilié à aucune fédération. Il suit son chemin associatif, indépendant et autonome, avec continuité et patience.

Lorsqu’on passe le pas de la porte, on sent qu’on entre «quelque part». Une forme de densité et de simplicité mêlées se dégage de l’endroit. En japonais, on dirait que le «ki » du lieu est palpable. L’espace est silencieux. Les gens sont réunis autour d’un café, dans une pièce vaste aux grandes fenêtres. À côté, l’espace des tatamis sommeille encore. Les gens arrivent, entre 6H20 et 6H45 : des hommes et des femmes de tous âges, de tous horizons et de tous niveaux. Le sensei, Régis Soavi, est là aussi, à prendre le café avec les autres. Lorsqu’il s’absente pour aller donner des stages dans les autres dojos de l’école, les séances sont assurées par d’autres. La constance de la pratique est protégée.

Tenshin Paris

Le dojo est vaste. L’espace des tatamis est recouvert d’une grande bâche beige. Tous les murs sont blancs. Le tokonoma central comporte une calligraphie de Maître Tsuda. Les portraits des fondateurs (Ueshiba pour l’Aïkido, Noguchi pour le Katsugen Undo et Tsuda pour le dojo) sont situés sur le mur opposé. Il est 6H45 environ. Les pratiquants se dirigent vers les vestiaires. La séance va commencer. Les tatamis ont été laissés au repos depuis la veille. En dehors des séances, l’endroit n’est pas loué, rentabilisé, utilisé pour d’autres cours. On commence alors à comprendre d’où vient ce «quelque chose» qu’on a senti en entrant. Un vide est au travail. Autre élément capital dans la tradition japonaise : l’importance d’un vide qui relie.

Entre les séances, on laisse l’espace se recharger, se reposer, à l’instar d’un corps humain. Il faut avoir vu l’endroit nu et silencieux, comme une bête au repos, pour comprendre la réalité de ce fait. Les pratiquants s’assoient en seiza, le silence se fait et la séance commence. Celui qui conduit fait face à la calligraphie, un bokken à la main, puis s’assoit. On salue une première fois. Ensuite vient la récitation du norito, une invocation shintoïste, par celui qui conduit. Maître Ueshiba commençait chaque séance ainsi. Maître Tsuda, coutumier de la mentalité occidentale, n’avait pas jugé nécessaire de traduire cette invocation. Il avait insisté seulement sur la vibration qui s’en dégage, le travail de la respiration. Bien sûr, la dimension sacrée est présente. Mais pour autant, pas de religiosité, pas de mystique «japonisante» dont les Occidentaux sont parfois friands. Non. Ici, c’est beaucoup plus simple. En entendant le norito, on sent résonner quelque chose dans l’espace qui favorise la concentration, le retour en soi. Comme on peut être touché par un chant sans avoir besoin d’en comprendre les paroles.

S’ensuit la «pratique respiratoire», une série de mouvements que l’on fait seul. Maître Tsuda a gardé cette partie du travail que faisait Maître Ueshiba et qui a pu être abusivement considérée comme un échauffement. Le terme d’échauffement est restrictif. Il n’engage que le corps et suppose que la pratique, la vraie, commencera après. Dans les deux cas, c’est faux. Un seul mouvement peut être approfondi à l’infini et implique, si on travaille dans ce sens, la totalité de notre être.

Vient ensuite le travail à deux. On choisit un partenaire. Aucune forme de hiérarchie ne prédomine. On pourra un jour pratiquer avec un débutant, le lendemain avec une ceinture noire. On travaille quatre à cinq techniques d’Aïkido par séance. Le Sensei fait la démonstration d’une technique, puis chacun s’y essaye à tour de rôle avec son partenaire. Ce qui se dégage de la pratique, c’est l’importance de la respiration et l’attention à ce qui circule entre le partenaire et soi. Une circulation qui, en prenant le postulat du combat comme point de départ, aboutit au-delà. Un au-delà du combat.

Ce n’est sans doute pas par hasard que Régis Soavi utilise le terme de «fusion de sensibilité» pour parler de l’Aïkido. «La voie de fusion de ki». Sur les tatamis, pas de confrontation brutale. Mais pas de condescendance molle non plus. L’Aïkido pratiqué ici est souple, clair, fluide. On voit les hakamas décrire des arabesques dans l’air, on entend des rires, des bruits de chutes, on voit des mouvements très lents puis, soudain, sans un mot, les partenaires accélèrent et paraissent entrainés dans une danse, jusqu’à ce que la chute les libère.

On repense à la phrase de Morihei Ueshiba : «L’Aïkido est l’art de s’unir et de se séparer».

Il n’y a pas de passage de grade. Pas d’examen. Pas de dan ni de kyu. À la place, le port du hakama et la ceinture noire. Les débutants quant à eux sont en kimonos blancs et ceinture blanche. Le moment juste pour porter le hakama est décidé par le pratiquant lui-même, après en avoir parlé avec des anciens ou le sensei. Choisir de porter le hakama implique d’assumer une liberté, mais aussi une responsabilité. Car l’on sait que les débutants prendront plus facilement pour modèles ceux qui portent la jupe noire traditionnelle. La question du grade est retournée comme un gant. La clé n’est pas à l’extérieur. C’est sa propre sensation que l’on doit affûter, pour reconnaître le moment juste. Bien sûr, on peut se tromper, on met le hakama trop tôt, ou trop tard. Mais le travail est enclenché. C’est en soi que l’on doit chercher. Quant à la ceinture noire, le sensei un jour la remet au pratiquant qu’il estime apte à la porter, ce dernier n’étant d’ailleurs jamais au courant de cette décision. Et c’est tout. La personne portera la ceinture noire. Pas de blabla. Le symbole est pris pour ce qu’il est: un symbole et rien de plus. Le chemin n’a pas de fin.

En voyant le sensei faire la démonstration du mouvement libre, dans lequel les techniques s’enchaînent spontanément, on repense au terme qui revient souvent dans les ouvrages et l’enseignement d’Itsuo Tsuda : « Le non-faire ». Et c’est probablement cela qui donne cette atmosphère si particulière au dojo, avec l’aube, l’odeur des fleurs devant le tokonoma et le vide. Une voie du non-faire. La séance s’achève. Le silence revient. On salue la calligraphie, le sensei. Ce dernier sort. Ensuite, les pratiquants quittent l’espace ou plient leur hakamas sur les tatamis.

Plus tard, après s’être changé, on se retrouve autour d’un petit déjeuner, vers 8H30, dans la salle qui jouxte les tatamis. On cherche à en savoir plus sur le fonctionnement du dojo. Pour que cet endroit vive, qu’il soit à la fois vivant et autonome financièrement, une énergie considérable est investie par les pratiquants. Certains ont fait le choix d’y consacrer une grande partie de leur vie. Ils sont un peu comme des uchi deshi japonais, des élèves internes. En plus de la pratique, ils gèrent la colonne vertébrale du dojo, relayés ensuite par les autres pratiquants qu’on pourrait associer à des élèves externes. Tout le monde participe, est encouragé à prendre des initiatives et à se responsabiliser. Un ancien résume l’enseignement reçu : « L’Aïkido. Le Katsugen Undo. Et le dojo. » La vie d’un dojo est ici un travail à part entière, une occasion unique de mettre en pratique en dehors des tatamis ce que l’on apprend sur les tatamis. Plutôt qu’un refuge, une serre, l’image serait plutôt celle d’un terrain à ciel ouvert au milieu de la ville, dans lequel on se met en jachère à l’aube, où l’on défriche ses mauvaises herbes pour laisser place, peu à peu, à d’autres floraisons. On regarde l’espace vide des tatamis une dernière fois avant de partir. Il paraît respirer. Le jour s’est levé et la ville à présent est dans un rythme rapide et bruyant. Elle nous attend. On quitte le dojo et l’on marche au dehors, avec un très léger sourire.

Dans un monde d’accumulation et de remplissage effrénés, il existe des endroits où l’on peut travailler par le moins. Celui-là en fait partie.»

Article de Yan Allegret paru dans Karaté Bushido de février 2014.

* Zeami. La tradition secrète du Nô. Traduction René Sieffert. Gallimard/Unesco.

Vers le mouvement du Non Faire

 

Bruno Vienne est cinéaste, réalisateur animalier et aventure humaine, membre de l’expédition TARA ARCTIC aubruno_vienne Pôle Nord, et également un ancien élève d’Itsuo Tsuda.

Au bout d’une trentaine d’années de pratique, il sent que c’est le moment de partager ce qu’il a compris et ressenti dans l’approche du Mouvement Régénérateur et de la pratique respiratoire de Maître Ueshiba (fondateur de l’Aïkido). Il nous invite à une plongée dans notre infini potentiel intérieur.

« Serons-nous capables de passer le cap pour une nouvelle humanité ?

Tout est là, c’est l’enjeu des prochaines années…

Les clignotants rouges sont allumés depuis déjà longtemps en ce qui concerne notre façon d’utiliser l’énergie et l’eau sur terre.
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Pour une écologie du corps humain

Décembre 2013, paru dans le quotidien italien « Il Manifesto ». Entretien avec Régis Soavi.

regis soavi aikidoAujourd’hui de nombreuses personnes avec toutes sortes d’idées politiques et d’autres sans idées politiques précises, se préoccupent de la façon dont leurs comportements individuels peuvent influer sur l’environnement : acheter des produits biologiques, de la production locale, mieux recycler les déchets, choisir des prestataires de services plus respectueux de l’environnement, réduire la consommation énergétique etc.

Au niveau du débat politique, malgré tout, la rhétorique écologiste fonctionne toujours, même en temps de crise.
En tous cas, l’attention portée collectivement aux conditions et à la qualité de la terre, de l’air et de l’eau est grande, pour diverses raisons, que ce soit par sens des responsabilités ou simplement par sens des affaires.

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Amateur ?

Itsuo Tsuda se considérait comme un écrivain, un philosophe. Et comme un amateur en Aïkido, pour le Nô et la calligraphie…
Et voici un extrait de Maître Tsuda qui nous éclaire à ce propos :
« Un mot sur l’enseignement ésotérique qui avait été pratiqué à l’époque féodale et conservé jusqu’avant la Deuxième Guerre itsuo tsuda seizaMondiale au Japon.
L’enseignement, qu’il s’agisse d’un art martial ou d’un métier traditionnel, était de deux sortes : l’une s’adressait aux amateurs, et l’autre à ceux qui voulaient en faire leur carrière.
Chose vraiment curieuse qui choquerait bien notre conception basée sur les principes de l’éducation moderne, c’est que l’enseignement complet n’était réservé qu’aux amateurs.
Que faisaient-ils, les vrais apprentis professionnels alors ? Ceux-ci vaquaient, du matin au soir, sans une minute de répit, aux travaux de ménage, au nettoyage de la maison et du jardin, aux soins à porter aux vêtements du maître, à la préparation de sa nourriture et de son bain, enfin à tout, et tous en parfaits esclaves. S’il y avait le moindre défaut dans ces travaux, le maître les réprimandait sévèrement. Et avec tout cela, ils n’avaient pas accès aux leçons dont jouissaient les amateurs.
Combien n’était-ce pas irrationnel ? C’était diamétralement opposé à l’enseignement moderne.
Irrationnelle, certes, dans un sens, cette méthode ne l’était pas dans un autre.
C’est que ces esclaves-apprentis brûlaient du désir de connaître l’enseignement du maître, d’autant plus qu’ils en étaient privés. Tout ce qu’ils pouvaient en obtenir était quelques paroles entendues au hasard du vent, des réprimandes, des gestes et des manières du maître, des bribes de démonstrations accordées aux amateurs, entrevues par la fissure d’une porte, etc.
Le désir étant intensifié par la privation, ils devenaient des espions, des voleurs de l’enseignement. Assoiffés, ils ne laissaient échapper aucun des détails qui leur parvenaient.
Le diamant est précieux parce qu’il est rare. S’il y en avait en abondance, on en aurait brûlé dans le poêle pour se chauffer.
Entre maître et amateurs, il y avait communication. Entre maître et apprentis, il y avait transmission inconsciente, d’âme à âme. Il y avait un travail intense de visualisation qui façonnait les derniers. Tout était axé sur la préparation du terrain chez les aspirants dont le succès ou l’insuccès dans leur carrière était une question de vie ou de mort, ce qui n’existait pas chez les amateurs.
Dans certains métiers, le maître choisissait un apprenti le moment venu, organisait une réception en son honneur, s’inclinait devant ce dernier, en s’excusant de sa dureté des années passées et déclarait qu’à partir de ce moment il n’était plus apprenti mais maître au même titre que lui. L’apprenti pouvait très bien en rester stupéfait, car durant ces années il n’avait peut-être rien appris de substantiel du tout.
Aujourd’hui, tout a changé. Partout dans le monde, l’éducation est standardisée. L’amateur viendra prendre des leçons pour son plaisir. L’apprenti professionnel aura un entraînement plus intense. Mais le problème du terrain reste.
L’homme est devenu, aujourd’hui, une sorte d’encyclopédie. Il connaît un peu de tout. Il est bien informé, non pour faire quelque chose, mais pour communiquer et pour faire un rapport. Il pourra étudier la natation, discuter sur son utilité, relater son histoire, sans bouger de son fauteuil, sans jamais se mettre dans l’eau. »
Extrait de Cœur de Ciel (post.), « Premiers écrits », « Cahier n° 3 – La pratique respiratoire », Le Courrier du Livre (2013), p. 85–86

A la decouverte de l’Aïkido et du Mouvement Régénérateur, l’Art du Non-Faire

Que sont l’Aïkido et le Mouvement régénérateur ? Comment en faire des moyens pour vivre le quotidien ? C’est de cela dont nous parle Régis Soavi, disciple direct de Me Itsuo Tsuda, qui fut lui-même l’élève de Maître Ueshiba et de Maître Noguchi.  Article de  Francesca Giomo

De l’Aïkido je ne connaissais que le nom, avant d’être invitée à participer à quatre séances pour pratiquer ce « non-art martial » à la Scuola della Respirazione, rue Fioravanti à Milan.
Les séances d’initiation avaient lieu les lundis soirs à 7 heures, aucune partie théorique, seulement la pratique. On regardait d’abord la démonstration de la technique par les élèves plus anciens, ensuite, on l' »exécutait » directement.
L’Aïkido dont nous allons parler et que j’ai commencé à connaître est celui de Maître Itsuo Tsuda, élève du fondateur de la pratique , Morihei Ueshiba. Maintenant Régis Soavi poursuit la recherche commencée par Me Tsuda, en enseignant dans différents dojos en Europe, comme la Scuola della Respirazione à Milan. Tsuda de son vivant s’occupait aussi du Mouvement Régénérateur (Katsugen Undo), mis au point par Haruchika Noguchi, et qui est aussi pratiqué, en plus de l’Aïkido, au dojo de Milan. C’est de ces deux pratiques dont nous parle directement Régis Soavi, dans l’interview qui suit.

– Qu’est-ce que c’est l’Aïkido ? Peut-il être défini comme un art martial ?

L’Aïkido est un non-art martial. En fait l’origine de l’Aïkido, c’est un art martial qui s’appelle le Ju Jitsu. La vision de Maître Ueshiba a transformé cet art martial en un art d’harmonie et de fusion entre les personnes. C’est pour cela qu’il ne s’agit plus d’un art martial comme aux origines, mais d’un non-art martial.

– C’est donc Maître Ueshiba qui a inventé l’Aïkido ?

Oui, c’est Ueshiba, qui est mort en 1969. Mais le fait qu’à la base de l’Aïkido il y ait le Ju Jitsu, c’est important d’en avoir conscience parce qu’ainsi on comprend comment Ueshiba avec l’Aïkido en a changé l’esprit. Aï-Ki-Do signifie voie (do) de l’harmonie (aï) du Ki, voie de fusion du Ki. Sa ligne d’orientation a de fait transformé un art martial en quelque chose d’autre. Dans l’Aïkido on ne peut pas, par exemple, parler de se défendre, mais plutôt de se fondre.

– Ueshiba est le fondateur de l’Aïkido, mais l’enseignement de la Scuola della Respirazione se réfère, par contre, à Maître Itsuo Tsuda.

Oui, Tsuda est mort en 1984. A travers ses livres il a fait passer le message de Ueshiba, dont il fut l’élève pendant dix ans, comme moi j’ai été le sien. Après la mort de Ueshiba se sont formées différentes écoles d’Aïkido. Certaines ont préféré retourner à un art martial type Ju Jitsu, d’autres ont fait de l’Aïkido un sport. Nous cherchons à comprendre ce qu’a dit Maître Ueshiba en réalité.

– Maître tsuda a connu Maître Ueshiba assez tard dans la vie ? Pratiquait-il des arts martiaux auparavant ?

Tsuda était un intellectuel. Il n’avait jamais pratiqué d’arts martiaux. Il avait étudié en France avec Marcel Granet et Marcel Mauss, il était intéressé par le Ki . Il a commencé ses recherches dans cette direction et il a découvert d’abord Katsugen Undo, et ensuite l’Aïkido . Tsuda, grâce à Ueshiba a vu comment on pouvait utiliser le Ki dans l’art martial. Il avait 45 ans quand il a commencé, sans avoir jamais pratiqué avant ni karaté, ni Judo ni aucun autre art martial.

– Ce n’est pas facile pour un occidental de comprendre ce qu’est que le Ki.

Tout le monde en parle à présent. Il suffit de penser au Taï Chi Chuan, au Qi Qong… Tout le monde le connait du point de vue mental, cependant très peu en font l’expérience du point de vue physique. Mais cela, on ne peut pas l’expliquer. Chacun doit le sentir, il n’existe pas d’explication. Ca ne nous intéresse pas, l’explication de ce qu’est le Ki, ce qui nous intéresse c’est seulement comment l’utiliser. C’est un peu comme expliquer ce qu’est l’amour. Aujourd’hui on peut faire des analyses de l’odeur des femmes, de celle des hommes, etc… Mais ça ne suffit pas, sinon nous ne sommes que des animaux… On n’explique pas l’amour, l’amour est une rencontre entre deux êtres et n’arrive pas parce que lui a la barbe, etc, etc… Il en est ainsi aussi pour le Ki.

– En parlant de la pratique de l’Aïkido, comment s’articule une séance ?

Une séance d’Aïkido est un moment spécial de la journée. Je pratique chaque jour, on peut y retrouver un certain aspect sacré. Au début de la pratique, il y a des gestes rituels dont il n’est pas important de connaître le sens, mais c’est fondamental de les faire, cela procure quelque chose. Il y a aussi la récitation du norito (un texte d’origine shintoïste récité en japonais), qui est une récitation de purifcation. Personne ne sait ce que veulent dire ces paroles entonnées, mais quand la récitation est bonne, il y a une vibration interne qui agit. Cela peut sembler très mystique. Mais si quelqu’un écoute des lieders de Schubert, par exemple, exécutés par un bon chanteur, s’il ne connaît pas l’allemand il ne comprend rien, mais quand il écoute le chant, il se passe quelque chose soit de triste, soit de joyeux, il y a un effet généré. Comme quand on regarde une représentation du théâtre Nô, on ne comprend rien, c’est en japonais, mais les gestes et les mouvements créent des effets. Et ce n’est pas mystique, mais réel.

– Quand nous avons assisté à une des dernières parties de la séance, la partie du mouvement libre, grâce à la succession des attaques et des « fusions », il nous semblait assister à une improvisation…

RS – Oui, en fait, il s’agissait d’une improvisation.

– Il faut une technique spéciale pour faire le mouvement libre ?

Même s’il s’agit d’une improvisation, il y a des gestes un peu rituels. On ne peut pas attaquer au hasard, mais d’une certaine façon, ça dépend de la posture de celui qui est attaqué, disons comme ça. Les gestes de l' »attaquant » correspondent à la posture de celui qui est « attaqué ». Mais dans le cas d’une improvisation, comme quand des musiciens improvisent ensemble, il y a toujours harmonie, autrement cela engendre le chaos. Donc on dépasse la technique et on crée l’harmonie. Tout le monde peut le faire. Chacun le fait à son niveau. Au début on le fait plus lentement, avec une technique que l’on connait. On n’invente pas quelque chose de vraiment nouveau.

– Quelle importance a la respiration dans l’Aïkido ?

Quand on parle de respiration dans un tel contexte, on parle du ki. Il ne faut pas penser en termes de respiration au niveau des poumons. C’est une respiration du corps qui permet d’être plus en harmonie. Quand on agit c’est expiration, quand on reçoit c’est inspiration.
La respiration pulmonaire, quand on commence à pratiquer, devient plus ample. Tout le corps respire et devient plus élastique et souple, le Ki s’écoule mieux. En ce sens la respiration sert à assouplir les personnes, à trouver un rythme dans la pratique, car si quelqu’un ne respire pas correctement, au bout de cinq minutes il n’a plus de forces. Pour cette raison, au début des séances on pratique lentement, parce que l’on harmonise les gestes à travers la respiration. Les gestes, donc, sont harmonisés par la respiration.

– Au début de la séance, il y a le maître qui fait une respiration très particulière, très forte, mais en fonction de quoi exactement ?

Cette respiration sert pour expirer à fond, pour vider. Il y a une déformation habituelle commune à beaucoup de personnes par rapport à la respiration. Aujourd’hui, en fait, les personnes ont tendance à retenir toujours un peu d’air, ils ne respirent pas à fond. Ils retiennent la respiration pour être toujours prêts à se défendre, à donner des réponses. A la fin la respiration, n’étant jamais réellement vide, ne peut être profonde et le souffle manque. Donc, la séance commence en faisant sortir tout l’air, comme ça avec lui sortent aussi les pensées. Elles deviennent vides, nouvelles.

– Où est-ce que l’Aïkido agit au niveau physique ? Quel type de réponse musculaire cela exige-t-il du corps ?

C’est comme dans la vie quotidienne, normalement on utilise tous les muscles, dans l’Aïkido aussi. C’est vrai, par contre, que certaines écoles d’Aïkido ont cherché à faire devenir le corps plus fort. Notre Ecole ne veut pas cela. On ne veut pas être plus fort, juste moins faible. Les muscles ne doivent pas être plus forts pour faire quelque chose de spécial. Avec l’Aïkido on bouge normalement et on fait des gestes quotidiens… comme courir, tourner, gestes normaux que par contre on fait avec une attention spéciale.

– Est-il possible de reporter cette « attention spéciale » dans sa propre vie quotidienne ?

Bien sûr, sinon l’Aïkido ne sert à rien. Certains viennent ici pour devenir plus forts, pour se défendre, mais non. L’Aïkido sert à sensibiliser, à devenir plus sensible et donc sert dans la vie quotidienne. On retrouve une certaine souplesse. Si avant la respiration était trop courte et haute, petit à petit, elle devient plus calme. Cela pour interagir avec les enfants, dans les relations de travail… C’est la vraie utilité de l’Aïkido, servir dans la vie quotidienne.

– Vous pratiquez toujours le matin très tôt ? Pourquoi ?

Moi oui, dans l’Ecole Itsuo Tsuda je pratique ainsi, mais tous ceux qui font l’Aïkido ne pratiqunt pas le matin tôt. Je préfère le matin parce que l’on est plus dans la dimension de l’involontaire, c’est une condition qui permet au corps de se réveiller et de se préparer à la journée.

– A la Scuola della Respirazione on pratique aussi Katsugen Undo, c’est à dire le Mouvement Régénérateur. Quelles sont ses origines ?

C’est une découverte de Maître Noguchi. Au début Noguchi était un guérisseur. Il faisait passer le ki aux personnes pour qu’elles aillent mieux. Mais à un moment donné, il a découvert que la capacité humaine à se guérir tout seul était innée, mais ne fonctionnait plus, ou moins bien. C’est lui qui a découvert qu’en faisant Yuki, c’est-à-dire en faisant passer le ki avec les mains, les corps bougent tous seuls et que cela permet une rééquilibration du corps. Noguchi, donc, a trouvé que certains mouvements permettent au corps de réveiller sa capacité à s’auto-guérir. C’est pour cela qu’est né le Mouvement Régénérateur ou Katsugen Undo, exercice qui permet au corps de réveiller des capacités qu’il ignore détenir.
Tsuda a introduit le Mouvement Régénérateur en France et moi je m’y suis intéressé car j’ai trouvé le lien qu’il y avait entre l’Aïkido et le Mouvement Régénérateur. J’ai réalisé l’existence de tels liens par le fait que quand un corps est sain et retrouve ses capacités, l’Aïkido ne peut plus aller dans le sens de la lutte contre les autres, mais au contraire la volonté d’agir ainsi disparaît. Donc le mouvement régénérateur est très important, à mon avis il est difficile de pratiquer l’Aïkido dans notre école sans le connaître.

– On ne peut s’initier au Mouvement Régénérateur qu’en participant aux stages que vous faites tous les deux mois ?

Pendant le stage je fais des conférences, j’explique et je montre les « techniques » qui permettent de se mettre dans l’état où le mouvement peut se déclencher. Je reviens tous les deux mois pour permettre aux personnes qui pratiquent régulièrement de continuer dans « le bon chemin ». Beaucoup peuvent dévier, peut-être justement parce que dans le Mouvement Régénérateur, il n’y a rien à faire, en réalité, seulement être présent, fermer les yeux, vider la tête. Certains par contre pensent que c’est mieux de faire des séances accompagnées de musique etc, etc….Mais le chemin est ce qui est le plus simple.

– Le Mouvement Régénérateur est-il une chose que nous avons déjà, mais que nous avons oubliée ?

Pas vraiment. Le Mouvement Régénérateur, c’est une activité humaine normale, ce que nous avons oublié c’est de laisser notre corps vivre tout seul. Nous avons perdu la foi en notre corps, en nos capacités, c’est comme si on était traumatisé. Le Mouvement Régénérateur permet de retrouver cela : si avant je ne pouvais pas faire certaines choses, ensuite je peux les faire. J’ai seulement entraîné ma capacité àagir, je ne fais rien d’autre. Cette capacité se trouve dans le système moteur extrapyramidal, le système involontaire. Quand il est entraîné, on retrouve la capacité à se rééquilibrer tout seul. C’est cela la capacité que nous avons déjà. Même les personnes qui ne font pas le Mouvement Régénérateur savent se rééquilibrer toutes seules : quand quelqu’un est fatigué il va au lit, dort et pendant le sommeil le corps bouge,ceci est la capacité du corps à se rééquilibrer. Le Mouvement Régénérateur est une chose que tout le monde a encore un peu, mais la capacité de faire se déclencher le mouvement s’amoindrit, à travers l’entraînement de l’extrapyramidal, on la retrouve.

– Qu’est-ce que le système moteur extrapyramidal ?

C’est le système involontaire, qui permet au corps de se rééquilibrer. Mais le Mouvement Régénérateur agit aussi sur le système immunitaire, qui ne dépend pas du système extrapyramidal, tout en étant aussi une capacité involontaire.
Le mouvement de notre corps n’est pas quelque chose que l’on peut apprendre, mais seulement découvrir, accepter. Le Mouvement Régénérateur agit sur beaucoup de choses, par exemple sur la capacité à maintenir la température du corps, mais pour chaque personne c’est différent, il n’y a pas de mouvement identique ni de réaction identique parce que chaque personne est différente.

– Le maître, face à des personnes qu’il ne connaît pas, doit avoir une sensibilité particulière pour comprendre de quel mouvement chaque participant a besoin ?

Non, car le maître ne peut pas faire le mouvement pour l' »élève », parce que le mouvement est spontané, donc chacun doit trouver le sien. Un entraînement du système involontaire doit commencer par le fait de laisser la carte blanche à l’involontaire. Donc pendant le stage j’explique, je fais faire des exercices, je fais seulement « yuki ». Quelques fois je peux aider la personne à se vider la tête avec quelques techniques mais ensuite le mouvement se déclenche tout seul. C’est comme lorsqu’une personne se gratte, elle sait où et comment le faire, sans que personne ne lui dise rien.

– Qu’est-ce que signifie yuki et faire yuki ?

Yuki signifie ki joyeux et faire yuki  » faire passer le ki joyeux », mais c’est une interprétation…On le fait en posant les mains sur le corps de l’autre.

– On parle de rééquilibre du corps, mais le Mouvement Régénérateur n’est pas une thérapie, mais des exercices qui permettent le réveil de quelque chose…

Oui, parce que la thérapie veut dire que l’on s’occupe du symptôme de la maladie et qu’on prend une responsabilité par rapport à cela. Pas ici. Ici on laisse seulement le corps faire son travail. Si les personnes ont des problèmes et ont besoin de quelque chose, on peut faire yuki et comme ça on active la capacité du reste du corps. Donc ce n’est pas une thérapie. Il y a des conséquences thérapeutiques, cela on peut le dire.

– Tout le monde peut pratiquer le Mouvement Régénérateur ?

Non. C’est déconseillé aux personnes qui ont subi des greffes, parce que si une personne a subi des greffes elle a dans son corps une partie d’une autre personne. Avec le Mouvement Régénérateur, son corps va avoir tendance a expulser la partie qui lui est étrangère. En fait, celui qui subit une greffe doit prendre des médicaments qui lui permettent de faire accepter à son corps l’élément étranger. Le Mouvement Régénérateur active les capacités du corps à se rééquilibrer, donc agit dans le sens de l’expulsion de ce qui est étranger à lui-même. Ca peut bien se passer, par contre, si c’est une greffe avec une autre partie du propre corps de la personne, comme de la peau prise à un endroit et qui est mise à un autre. On n’accepte pas non plus des personnes prenant des médicaments forts, comme la cortisone etc… car ces médicaments vont dans le sens de la « désensibilisation » des personnes, au contraire le Mouvement Régénérateur leur fait retrouver une sensibilité plus vive.

– Combien d’années faut-il pratiquer pour conduire une séance de mouvement Régénérateur ?

Ca n’a pas de sens de parler d’années. Ce sont les pratiquants eux- mêmes qui font les séances. Une année de pratique, cela suffit. Bien sûr pour conduire une séance la personne doit avoir une respiration suffisamment calme et une attitude juste, cordiale, simple, ne pas déranger les autres. En fait, c’est seulement l’involontaire des pratiquants qui agit.

– Pendant la séance, ne peut-il pas arriver des choses sur le plan émotif de la part des personnes les plus fragiles ?

Il n’arrive rien de tout ça, car on découvre que le Mouvement Régénérateur est vraiment naturel. C’est comme si je disais qu’en se grattant quelqu’un se fait saigner. Les personnes ont des tensions dans l’intérieur d’elles-mêmes, mais le Mouvement Régénérateur ne les fait pas sortir , il les fait fondre . S’il y a quelque chose qui n’a plus raison d’être, cela fond.

– Pour permettre au Mouvement Régénérateur de se déclencher, il faut d’abord libérer la tête des pensées, faire « le vide mental », mais comment cela vient-il ?

Pour faire le vide mental, il faut commencer par laisser tomber les pensées qui arrivent. Le vide signifie que s’il y a des pensées, elles passent. Le mental a de toute façon besoin d’agir, mais les pensées n’ont pas d’importance. Au début c’est un peu difficile, mais après on ne s’en préoccupe plus et petit à petit tout va de soi…

Article de  Francesca Giomo  publié sur la web revue  « Terranauta » le 04/01/2006.

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