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Superficialité ou approfondissement

Dans cet article à partir d’un hexagramme du Yi Jing (Tsing : Le puits), Régis Soavi nous parle des pratiques de l’Aïkido et du Mouvement régénérateur comme des instruments de recherche et d’approfondissement de sois-même.

Le dojo est, par essence, le puits où viennent se nourrir les pratiquants d’arts martiaux à la recherche de la Voie, du Tao. À l’opposé du ring ou du gymnase, il offre un lieu de paix nécessaire, voire indispensable, pour l’approfondissement des valeurs humaines.dojo le puits

Nous vivons aujourd’hui à la vitesse de la lumière. La communication n’a jamais été aussi rapide. Les ondes chargées de bits et micro-bits circulent en boucle autour de notre planète, porteuses de plus d’informations que notre cerveau n’en peut stocker. Les réseaux sociaux ont remplacé la connaissance par un vernis superficiel qui peut sembler suffisamment apte à satisfaire notre apparence sociétale. Si dans les années soixante les membres de l’Internationale situationniste fustigeaient les pseudo-intellectuels qui se nourrissaient auprès des revues comme Le Nouvel Observateur ou l’Express pour alimenter leurs conversations mondaines ou leurs écrits, que diraient-ils de la démocratisation proposée à tout un chacun pour devenir le nouveau Monsieur Jourdain du Bourgeois Gentilhomme de Molière ? Mieux vaut connaître un peu de tout plutôt que d’approfondir quoi que ce soit, telle semble bien être la devise de notre époque.

Dans les arts martiaux la tendance semble aller dans la même direction. Nombreuses sont les personnes qui sont intéressées par les images spectaculaires retransmises par les médias où l’on présente les capacités fictives d’acteurs martiaux, au demeurant fort habiles dans leur métier, mais où la recherche est principalement le rendu superficiel ainsi que commercial.

L’image du puits dans l’ancienne Chine devrait nous faire nous interroger sur les tendances qui gouvernent notre vie de tous les jours. Si l’on tirait l’eau du puits à l’aide d’un seau et d’une perche, c’est bien la répétition d’un tel acte qui permettait la vie du village, et la nourriture prodiguée était considérée comme inépuisable. Et si nous prenions exemple sur cette image ancienne ?

Quand on pratique un Art comme l’Aïkido il ne s’agit pas d’accumuler des techniques sans cesse plus nombreuses, ni de répéter béatement l’enseignement prodigué, mais plutôt de commencer une recherche, de se réorienter vers quelque chose de plus profond afin d’abandonner le superficiel, le superflu, qui nous a tant déçus et que l’on ne supporte plus.

Régis Soavi Aikido

Bon nombre de personnes qui au départ sont extrêmement enthousiastes de commencer un vrai travail avec leur corps, se lassent de la répétition, bien trop souvent scolaire, ou encore se laissent fourvoyer par la dernière mode. On voit ainsi des gens qui collectionnent les méthodes et passent d’un art à l’autre, du Yoga au Taï-chi, du Karaté à la Capoeira, pensant parfois que l’un d’eux est supérieur à l’autre comme l’explique si bien un youtuber à la mode qui fait l’actualité comme ça lui chante.

Face à tous ces personnages qui ne vivent que pour influencer leurs followers et gagnent leur vie sur leurs dos grâce au nombre de « like » et à la publicité qu’ils engendrent, ne serait-il pas temps de chercher au fond de soi-même ? De prendre le temps de réfléchir plutôt que de consommer passivement la réflexion d’un autre ? De bouger son propre corps pour retrouver une harmonie perdue plutôt que de chercher dans le virtuel un complément à la routine issue de la pauvreté du quotidien ?

Le dojo en tant que lieu de recherche possède toutes les caractéristiques du puits : c’est à la fois un lieu pour l’entraînement, car on y puise chaque jour, et en même temps (et peut-être plus) c’est un lieu de convivialité où le social se débarrasse de ce qui l’empêche d’être vrai c’est-à-dire d’être le plus proche possible de la nature profonde des individus. Un lieu où la sociabilité échappe aux conventions, un lieu où l’on peut se parler, entrer physiquement en contact avec l’autre de façon simple, avec toutes les difficultés que cela peut représenter pour celui ou celle qui n’est pas prêt ou prête.

Toute l’arduité réside dans le fait de ne pas rester en superficie de la pratique, de ne pas se contenter de surfer sur un océan d’images devenues virtuelles ou de barboter sur le rivage et cela si possible sans se mouiller trop, mais de s’imprégner de ce que l’on y trouve, de lâcher ce qui nous encombre de manière à en explorer les profondeurs.

Mon Maître Itsuo Tsuda dans son livre Le Non-faire* nous donne avec simplicité, un aperçu de sa propre recherche et du travail qu’il avait engagé en Europe.

Itsuo Tsuda aikido

« Que suis-je à côté de la grandeur de l’Amour cosmique de Me Ueshiba, de la technique du Non-Faire de Me Noguchi, ou du raffinement insondable de Me Kanzé Kasetsu, acteur du théâtre Noh ? Je les ai connus tous les trois ; deux sont morts, seul Me Noguchi est en vie [Haruchika Noguchi meurt en 1976]. Leur influence continue de travailler en moi. Ce sont là des maîtres par nature. Moi, je suis simplement un être qui commence à se réveiller, qui cherche et évolue.
Une extraordinaire continuité d’efforts soutenus caractérise les œuvres de ces maîtres. J’ai l’impression de trouver dans un terrain aride, des puits d’une profondeur exceptionnelle. Là où s’arrête le travail de catégorisation n’est que leur point de départ. Ils y ont percé bien au-delà. Ils ont atteint les veines d’eau, la source de la vie.

Cependant, ces puits ne communiquent pas entre eux, bien que ce soit la même eau qu’on y trouve. La tâche qui m’incombe, est d’y dresser une carte géographique, d’y trouver un langage commun. »

Ce langage, Itsuo Tsuda le trouvera dans l’art de l’écriture (il se définissait lui-même comme écrivain-philosophe, comme en témoigne sa stèle funéraire au Père Lachaise), dans l’enseignement d’une certaine forme de l’Aïkido fondée sur la respiration et l’approfondissement de la sensation du Ki, enfin en faisant connaître le Katsugen undo (mouvement régénérateur). À travers son travail, son œuvre écrite, son enseignement, il réussira à créer un pont entre l’Orient et l’Occident.

Ce qui guette le pratiquant d’arts martiaux et ce plus particulièrement en Aïkido est l’ennui dû à la répétition, à la recherche de l’efficacité, au fait de peaufiner la technique, et tout cela au détriment de la profondeur de l’art, ainsi que de la culture qui le sous-tend. De fait, notre époque n’est plus soumise aux mêmes impératifs que les siècles derniers, s’il est toujours utile de pouvoir réagir en cas d’agression ou de difficultés, ce qui sera déterminant est plus la force intérieure et le réveil de l’instinct, que la capacité de combat. L’Aïkido demeure une pratique du corps, où la rigueur, la dynamique, le savoir-faire, ont une importance capitale, mais son aspect philosophique est loin d’être négligeable. Cet aspect n’est en rien contradictoire, bien au contraire, un de mes anciens maîtres Masamichi Noro l’avait bien compris lui-même lorsqu’il créa cet art nouveau qu’est le Ki no Michi (la voie du Ki) à la fin des années soixante-dix. La recherche dans l’Aïkido est quelque chose de difficile et peut même être pernicieuse parfois, car s’il ne s’agit pas de s’affronter avec d’autres combattants, ce n’est pas non plus de la méditation ni de la danse, et je peux dire cela car j’ai un immense respect pour ces arts, là encore les puits sont différents, mais la recherche va dans la même direction.

Aller chercher du côté du développement des capacités humaines, de la culture au-delà du connu, se remettre en question et questionner les idées du monde, avancer pour faire avancer notre société. Sortir peut-être enfin un jour de la barbarie et de l’obscurantisme. Il nous suffit de relire la conférence de Umberto Eco** sur comment l’être humain se construit des ennemis pour comprendre que nous avons plus que jamais besoin de connaître l’autre pour mieux le comprendre.

L’Aïkido en tant qu’Art du Non-faire est une porte vers ce que nombre de personnes recherchent : la réalisation de soi-même, sans un ego démesuré, mais dans la simplicité, et avec le plaisir d’un vécu authentique.

Régis Soavi

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Notes :
* Itsuo Tsuda, Le Non-faire, Édition Le Courrier du Livre (Paris), 1973, p. 12
**Umberto Eco, Costruire il nemico e altri scritti occasionali, éd. Bompiani (Milano), 2011

L’Aïkido est-il un art martial ?

Par Régis Soavi

Il semble que cette question « L’Aïkido est-il un art martial ? » soit récurrente dans les dojos et divise les pratiquants, les enseignants, ainsi que les commentateurs dans à peu près toutes les écoles. Personne ne pouvant donner une réponse définitive, on a recours à l’histoire des arts martiaux, aux nécessités sociales, à l’histoire de l’origine des êtres humains, aux sciences cognitives, etc., en les chargeant d’apporter une réponse, qui, si elle ne résout pas le problème, aura au moins le mérite de justifier les propos tenus.

L’Aïkijutsu est devenu un dō

L’Aïkijutsu, depuis qu’il a abandonné le suffixe jutsu pour devenir un dō, s’est reconnu lui-même comme un art de la paix, une voie de l’harmonie au même titre que le Shodō (la voie de la calligraphie) ou encore le Kadō (la voie des fleurs). En adoptant le terme qui signifie le chemin, la voie, est-il devenu pour autant un chemin plus facile ? Ou au contraire nous oblige-t-il à nous poser des questions, à réexaminer notre propre parcours, à faire un effort d’introspection ? Un art de la paix est-il un art de l’accommodation, un art faible, un art de l’acceptation, un art où les filous peuvent jouir d’une réputation à peu de frais ?
Certes c’est un art qui a su s’adapter aux nouvelles réalités de notre époque. Mais doit-on entretenir l’illusion d’une self-défense facile, à la portée de tous, adaptée à tous les budgets et sans la nécessité de s’investir le moins du monde ? Peut-on réellement croire ou faire croire qu’à raison d’une ou deux heures par semaine, qui plus est hors vacances (les clubs sont souvent fermés), on peut devenir un foudre de guerre ou acquérir la sagesse et être capable de résoudre tous les problèmes par son calme, sa sérénité, ou son charisme ?
La solution alors se trouve-t-elle dans la force, le travail musculaire et les arts violents ?
S’il existe une direction, elle se trouve à mon avis, et malgré ce que je viens de dire, dans l’Aïkido.

Une École sans grade

Tsuda Itsuo ne donna jamais de grade à aucun de ses élèves et lorsque quelqu’un lui posait une question sur le sujet, il avait coutume de répondre « Il n’y a pas de ceinture noire de vide mental ». On peut dire que, avec cela, il avait clos toute discussion. Ayant été l’interprète, auprès de Ō Senseï Morihei Ueshiba, d’André Nocquet senseï lors de son apprentissage au Japon, il a par la suite servi d’intermédiaire lorsque des étrangers français ou américains se présentaient au Hombu Dojo pour s’initier à l’Aïkido. Cela lui permit, traduisant les questions des élèves et les réponses du maître, d’avoir accès à ce qui sous-tendait la pratique. Ce qui en faisait quelque chose d’universel. Ce qui en faisait un art au-delà de la pure martialité. Il nous parlait de la posture de Ō Senseï, de son incroyable spontanéité, de la profondeur de son regard qui semblait le percer jusqu’au plus profond de son être. Tsuda Itsuo n’a jamais cherché à imiter son maître qu’il considérait inimitable. Il s’est tout de suite intéressé à ce qui animait cet homme incroyable capable de la plus grande douceur comme de la plus grande puissance. C’est pourquoi, arrivé en France, il chercha à nous transmettre ce qui pour lui était l’essentiel, le secret de l’Aïkido, la perception concrète du ki. Ce qu’il avait découvert, et qu’il résumait dans cette phrase, la première de son premier livre : « Depuis le jour où j’ai eu la révélation du “ki”, du souffle (j’avais alors plus de quarante ans), le désir ne cessait de grandir en moi d’exprimer l’inexprimable, de communiquer l’incommunicable. »*

Pendant dix ans il parcourut l’Europe afin de nous faire découvrir, à nous, Occidentaux, bien trop souvent cartésiens, dualistes, qu’il existe une autre dimension à la vie. Que cette dimension n’est pas ésotérique mais exotérique comme il se plaisait à le dire.

Une École particulière

Les motivations qui amènent à commencer cette pratique sont de manière évidente très diverses. Si je pense aux personnes qui pratiquent dans notre École (l’École Itsuo Tsuda), à part quelques-unes, il y en a peu qui soient venues pour l’aspect martial. D’ailleurs bon nombre d’entre elles n’y ont rien vu de martial de prime abord, bien qu’à l’occasion de chaque séance je montre comment les techniques pourraient être efficaces si on les exécutait de façon précise, et dangereuses si on les utilisait de manière violente. Le coté martial découle de la posture, de la respiration, de la capacité de concentration, de la vérité de l’acte qu’est l’attaque. Pour l’apprentissage, il est indispensable de respecter le niveau de son partenaire, de s’exercer avec des formes connues.
Mais la découverte que l’on peut faire en travaillant les formes prédéfinies va bien au-delà. Il s’agit de faire fructifier autre chose, de révéler ce qui se trouve au fond des individus, de se libérer de l’emprise sous-jacente qu’exerce le passé et même parfois le futur, sur nos gestes, sur l’ensemble de nos mouvements, tant physiques que mentaux. Et d’ailleurs personne ne s’y trompe dans notre dojo.
La séance commence à 6h45. Le fait de venir pratiquer si tôt le matin (en fait Ō Senseï et Tsuda senseï avaient toujours commencé leurs propres séances à 6h30) n’est ni une ascèse ni même une discipline. Certains pratiquants arrivent vers 6h chaque matin, pour partager un café ou un thé, et profiter de ce moment d’avant la séance (de pré-séance), si riche parfois grâce aux échanges que l’on peut avoir entre nous. C’est un moment de plaisir, d’échange sur la pratique, comme parfois aussi sur la vie quotidienne, que l’on partage avec les autres de manière extrêmement concrète et non de façon virtuelle comme la société a tendance à nous le proposer.
Évidemment tout cela peu paraître rétrograde ou inutile, mais cela évite le coté loisir facile et ne favorise pas le clientélisme, sans pour autant dire qu’il n’existe pas, cela le réduit et avec le temps il évolue. Et cela parce que les êtres changent, se transforment, ou plus précisément se retrouvent eux-mêmes, retrouvent des capacités inexploitées, qu’ils pensaient parfois avoir perdu ou souvent, plus simplement, qu’ils avaient oubliées.

Yin le féminin : comprendre

Les femmes sont si nombreuses dans notre École que la parité n’y est pas respectée, les hommes sont minoritaires, de peu certes, mais ils l’ont toujours été. Je m’en voudrais de parler au nom des femmes et pourtant comment faire ? Elle ne forment pourtant pas un monde à part, inconnu des hommes.
En fait, pour beaucoup, peut-être que si ! … Cependant je pense qu’il suffit pour l’homme de se pencher sur son coté yin, sans en avoir peur, pour retrouver et comprendre ce qui nous rapproche et ce qui nous différencie. Est-ce par une affinité personnelle, une recherche due à mon propre vécu pendant les événements de mai 68 et à cette éclosion du féminisme qui se révéla une fois de plus à cette époque. Ou plus simplement peut-être parce que j’ai eu trois enfants et que ce sont trois filles, qui d’ailleurs pratiquent toutes les trois, le résultat quelles qu’en soient les raisons a fait que j’ai toujours accordé leur place légitime aux femmes dans les dojos de notre École. Elles y ont les mêmes responsabilités et il n’y a évidemment aucune différence de niveau, que ce soit pour l’étude comme pour l’enseignement. Il est vraiment dommage d’avoir à préciser ce genre de choses, mais malheureusement elles ne découlent pas d’elles-mêmes dans ce monde.
Malgré tout les femmes prennent peu la parole, ou même devrais-je dire la plume, dans les revues d’art martiaux. Il serait intéressant de lire des articles écrits par des femmes, voire de consacrer un espace dans « Dragon magazine spécial Aïkido » à la vision des femmes sur les arts martiaux et sur notre art en particulier. N’ont-elles rien à dire, ou le monde masculin accapare-t-il toute la place ? Ou peut-être encore ces débats de chapelles sur l’efficacité de l’Aïkido les ennuient, elles qui cherchent et souvent trouvent, me semble-t-il, une autre dimension, ou en tout cas autre chose, grâce à cet art  ? Cet « autre chose », qui est peut être plus près de la recherche de Ō Senseï, Tsuda Itsuo senseï nous en donne une idée dans ce passage de son livre La Voie du dépouillement :

« Se représente-t-on Me Ueshiba comme un homme fait entièrement en acier ? C’est pourtant l’impression bien contraire que j’ai eu de lui. C’était un homme serein, capable d’une concentration extraordinaire, mais très perméable par ailleurs, aux éclats de rire sonores, avec un sens de l’humour inimitable. J’ai eu l’occasion de toucher son biceps. J’en étais stupéfait. C’était la tendresse d’un nouveau-né. Tout ce qu’on pouvait imaginer de contraire à la dureté.
Cela peut paraître curieux, mais son Aïkido idéal était celui des jeunes filles. Les jeunes filles ne sont pas capables, de par leur nature physique, de contracter les épaules aussi durement que les garçons. Leur Aïkido, est de ce fait, plus coulant et plus naturel. »**

Yang le masculin : combattreart martial

Nous sommes éduqués à la compétition depuis notre plus tendre enfance, l’école, sous prétexte d’émulation, a tendance à aller dans la même direction, et tout cela pour nous préparer au monde du travail. Le monde est dur nous apprend-on, il faut absolument gagner sa place au soleil, apprendre à se défendre contre les autres, mais en est-on si sûr ? Notre désir n’aurait-il pas tendance, lui, à nous guider dans une autre direction ? Et que faisons-nous pour réaliser cet objectif ? L’Aïkido peut-il être l’un des instruments de cette révolution des mœurs, des habitudes, doit-il et surtout devons-nous faire l’effort nécessaire afin que les racines du mal qui ronge nos sociétés modernes se régénèrent et redeviennent saines ? Il y a eu par le passé des exemples de sociétés où la compétition n’existait pas, ou très peu de la manière dont elle existe aujourd’hui, des sociétés où le sexisme aussi était absent, même si on ne peut pas les présenter comme des sociétés idéales. En lisant les écrits sur le matriarcat dans les îles Trobriand de ce très grand anthropologue qu’était Bronislaw Malinowski on pourra découvrir son analyse, trouver des pistes, et peut-être même des remèdes à ces problèmes de civilisation qui ont été si souvent dénoncés.

Tao, l’union : une voie pour l’accomplissement de l’être humain

La voie, par essence, sans être un idéaliste, se justifie et prend toute sa valeur par le fait qu’elle normalise le terrain des individus. Pour qui la suit, elle régule ses tensions, elle est équilibrante, elle est tranquillisante en permettant un autre rapport à la vie. N’est-ce pas ce que tant de personnes « civilisées » recherchent désespérément et qui se trouve en fin de compte au fond de l’être humain ?

La voie n’est pas une religion, c’est même ce qui la différencie de la religion qui en fait un espace de liberté, au sein des idéologies dominantes. La pensée de laquelle on peut la rapprocher me semble plutôt être l’agnosticisme, courant philosophique peu connu, ou plutôt connu de manière superficielle mais qui permet d’intégrer toutes les différentes écoles. Il y a bon nombre de rituels dans l’Aïkido que l’on continue de suivre sans en comprendre la véritable origine (celle à laquelle puisa Ō Senseï) ou parfois d’autres rituels que divers maîtres trouvèrent grâce à d’anciennes pratiques comme le fit Tamura senseï lui-même. On les a souvent associés avec la religion alors que, comme on pourrait le vérifier, ce sont les religions qui ont utilisé tous ces anciens rituels, se les sont appropriés pour en faire des instruments au service de leur propre pouvoir, et même trop souvent ils servent à la domination et à l’asservissement des individus.

Un moyen : la pratique respiratoire

La première partie dans l’Aïkido de O Senseï Morihei Ueshiba, loin d’être un échauffement, consistait en mouvements dont il est primordial de retrouver la profondeur. Ce n’est pas pour une satisfaction intellectuelle, ni par soucis d’intégrisme et encore moins pour acquérir des « pouvoirs supérieurs », que nous les continuons, mais pour retrouver le chemin qu’avait emprunté Ō Senseï. Certains exercices, comme Funakogi undo (mouvement dit du rameur) ou Tama-no-hireburi (vibration de l’âme), ont une très grande valeur, et lorsqu’ils sont pratiqués avec l’attention nécessaire, ils peuvent nous permettre de sentir au-delà du corps physique, au-delà de notre sensation si limitée, pour découvrir quelque chose de plus grand, de beaucoup plus grand que nous. Il s’agit d’une nature illimitée à laquelle nous participons, dans laquelle nous baignons, qui est fondamentalement et inextricablement liée à nous, et que pourtant nous avons tant de mal à rejoindre ou même parfois à sentir. Cette conception que j’ai fait mienne, n’est pas due à un rapport mystique à l’univers, mais plutôt à une ouverture psychophysique que de nombreux physiciens modernes ont approché grâce à la théorie et qu’ils cherchent à vérifier. Ce n’est pas une chose que l’on peut apprendre en regardant des vidéos sur YouTube, ni en consultant des livres de sagesse du passé malgré leur indéniable importance. C’est quelque chose que l’on découvre de manière purement corporelle, de manière absolument et intégralement physique, même si c’est un physique élargi à une dimension inhabituelle. Petit à petit tous les pratiquants qui acceptent de chercher dans cette direction le découvrent. Ce n’est pas lié à une condition physique ni à un âge ni évidemment à un sexe ou un peuple.

L’éducation

Presque tous les psychologues considèrent que l’essentiel de ce qui nous guidera à l’âge adulte se passe pendant notre enfance et plus précisément notre petite enfance.

Aussi bien les bonnes expériences que les mauvaises. Il y a donc un soin particulier à apporter à l’éducation de manière à conserver le plus possible la nature innée de l’enfant. Il ne s’agit en aucun cas de laisser l’enfant faire tout ce qu’il veut, d’en faire un enfant roi, de devenir son esclave, le monde est là qui l’entoure et il a besoin de points de repère. Mais c’est très vite, souvent peu de temps après la naissance, parfois après quelques mois, que le bébé est confié à des personnes étrangères à la famille. Que sont devenus ses parents ? Il ne reconnaît plus la voix de sa mère, son odeur, son mouvement. C’est le premier traumatisme et on nous dit : « Il s’en remettra ». Certes, malheureusement ce n’est pas le dernier, loin de là. Puis vient la crèche qui s’emboîte avec la maternelle, l’école primaire, le collège puis enfin le Bac avant peut-être l’université, pour au moins trois voire quatre, cinq, six ans ou plus encore.
Mais que peut-on y faire ? « C’est la vie » me dit-on. Chacune de ces boîtes dans lesquelles l’enfant va passer son temps au nom de l’éducation, de l’apprentissage est une prison mentale. De socle commun en culture de masse, quand sera-t-il respecté en tant qu’individu plein de cette imagination qui caractérise l’enfance ? On lui apprendra à obéir, il apprendra à tricher. On lui apprendra à être avec les autres, il apprendra la compétition. Il sera noté, on appellera cela émulation, et ce désastre psychologique sera vécu par les premiers comme par les derniers des élèves.
Au nom de quelle idéologie totalitariste forme-t-on les enfants et toute la jeunesse à la peur de la répression, à la soumission, au désengagement et à la désillusion ? La société d’aujourd’hui dans les pays riches ne nous propose rien de bien nouveau : travail et loisirs ne sont que des synonymes de l’idéal romain du pain et des jeux, l’esclavage antique n’est que le salariat de maintenant. Un esclavage amélioré ? Peut-être… avec une lobotomisation spectaculaire, garantie sans facture, grâce à la publicité pour la marchandise dont on nous abreuve, et son corollaire : l’hyper-consommation de biens tant inutile que néfaste.
La pratique de l’Aïkido pour les enfants et les adolescents est l’occasion de sortir des schémas que propose le monde qui les entoure. C’est grâce à la concentration exigée par la technique, une respiration calme et sereine, l’aspect non compétitif, le respect de la différence, qu’ils peuvent conserver, ou si besoin retrouver leur force intérieure. Une force tranquille, non agressive, mais pleine et riche de l’imagination et du désir de rendre le monde meilleur.

Une philosophie pratique ou, mieux dit, une pratique philosophique.

La particularité de l’École Itsuo Tsuda vient du fait qu’elle s’intéresse plus à l’individualité qu’à la diffusion d’un art ou d’une suite de techniques. Il ne s’agit pas de créer un individu idéal, ni de guider quiconque vers quelque chose, vers un modèle de vie, avec tel taux de gentillesse, tel taux d’amabilité ou de sagesse, de pondération ou d’exaltation, etc. Mais de réveiller l’être humain et de lui permettre de vivre pleinement dans l’acceptation de ce qu’il est au sein du monde qui l’entoure sans le détruire. Cet esprit d’ouverture ne peut que réveiller la force qui préexiste en chacun de nous. Cette philosophie nous porte à l’indépendance, à l’autonomie, mais non à l’isolement, au contraire, par la découverte de l’Autre, par la compréhension de ce qu’il est, et au-delà de ce qu’il est peut-être devenu. Tout cet apprentissage, ou plutôt cette réappropriation de soi, demande du temps, de la continuité, de la sincérité afin de réaliser de manière plus claire la direction vers laquelle on désire se rendre.

Le dépassement, ce qu’il y a derrière.

Ce qui m’intéresse aujourd’hui, est ce qu’il y a derrière ou plus exactement ce qu’il y a au fond de l’Aïkido. Lorsqu’on prend un train on a un objectif, une destination, avec l’Aïkido c’est un peu comme si au fur et à mesure que l’on avance le train changeait d’objectif, comme si la direction devenait à la fois différente, et plus précise. Quand à l’objectif, il s’éloigne malgré le fait que l’on pense s’en être rapproché. Et c’est là qu’il faut prendre conscience que l’objet de notre voyage est dans le voyage lui-même, dans les paysages que l’on découvre, qui s’affinent, et se révèlent à nous.

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« L’Aïkido est-il un art martial ? » un article de Régis Soavi  publié dans Dragon Magazine (Spécial Aïkido n°21) en juillet 2018

Notes

* Tsuda Itsuo, Le Non-faire, Le Courrier du Livre, 1973, p.7.
** Tsuda Itsuo, La Voie du dépouillement, Le Courrier du Livre, 1975, pp.148-149.

L’esprit de l’Aïkido est dans la pratique

Par Régis Soavi.

« On a souvent tendance à considérer l’esprit d’un art comme un processus mental, une direction à prendre de manière consciente ou encore des règles à respecter. Tout cela parce qu’en Occident nous vivons dans un monde de séparation, de division. D’un côté il y a l’esprit, de l’autre le corps, d’un côté le conscient, de l’autre l’inconscient, c’est ce qui est censé faire de nous des êtres civilisés alors même que cette séparation engendre des conflits en nous. Des conflits qui sont renforcés par les systèmes d’interdiction mis en place pour protéger la société, pour nous protéger nous-mêmes contre nous-mêmes.

regis soavi meditation
La pratique de l’Aïkido nous entraîne vers la réunification de l’être humain.

Vers la réunification de l’être humain, voilà la Voie dans laquelle nous nous dirigeons par la pratique de l’Aïkido. Cette réunification est nécessaire dans un monde où l’humain est chosifié, où il devient à la fois un consommateur et une marchandise. Sans se rendre compte du chemin qu’il prend, le civilisé exécute la vie au lieu de la vivre. Cette société qui nous pousse à la consommation laisse peu de place au travail intérieur, elle nous pousse à chercher au- dehors ce qui se trouve au-dedans. À acheter ce que nous possédons déjà, à chercher des solutions à tous nos problèmes à l’extérieur de nous-mêmes, comme si d’autres avaient de meilleures solutions. Cela amène à une prise en charge de l’individu par les différents systèmes de protection à la fois sociaux, idéologiques, ou de santé, multipliant ainsi l’offre et créant un marché idéal pour les vendeurs de rêves de tout poil, charlatans, gourous et compagnie.
J’apprends aujourd’hui que l’on vient de créer une nouvelle pratique : « la Respirologie », et comme d’habitude abusée par le pouvoir des mots la clientèle va certainement affluer. Est-ce qu’au nom de la normalisation du corps et de l’esprit, de la remise en forme des personnes, nous devrions changer le nom de notre art par : « Aïkido Thérapie » ?

L’esprit de l’Aïkido ne peut s’enseigner

Je ne pense pas que l’on puisse dire qu’il y a un esprit spécifique de l’Aïkido, mais plutôt que l’Aïkido doit être le reflet de quelque chose de beaucoup plus grand que nous petits êtres humains avons du mal à réaliser durant notre vie.
L’esprit d’un art ne peut s’enseigner, il s’agit plutôt d’une transmission, mais que serait un Aïkido sans esprit : une lutte, un combat, une sorte de bagarre sans queue ni tête. Il est tout à fait possible d’enseigner la technique sans rien transmettre de l’esprit, mais du coup, il s’agit de tout autre chose. Peut-être de la self-defense ou bien une technique de bien-être.
Comme dans tous les arts martiaux nous avons le Rei, le salut, qui évidemment en est l’expression la plus immédiatement visible, mais c’est dans la posture de l’enseignant que va se transmettre le plus important. Par posture j’entends un ensemble extrêmement complexe de signes qui seront repérables par les élèves : bien sûr l’aspect physique, la dynamique, la précision etc., mais aussi la manière de faire passer un message, l’attention accordée à chacun des pratiquants en fonction de milliers de facteurs que l’enseignant doit percevoir. C’est en développant son intuition que l’on peut avoir la plus grande et la plus fine des pédagogies, et ainsi apporter les éléments dont a besoin le pratiquant pour approfondir son art, pour mieux en comprendre les racines.

L’esprit de l’Aïkido ne s’apprend pas

L’esprit de l’Aïkido ne s’apprend pas, on le découvre, il ne nous change pas, il nous permet de retrouver nos racines humaines, de rejoindre ce qu’il y a de meilleur dans l’être humain.
« L’Aïkido est l’art d’apprendre profondément, l’art de se connaître soi-même. »*
Le désir du fondateur de l’Aïkido était de rapprocher les êtres humains, pour lui le monde était comme une grande famille : « En Aïkido, l’entraînement n’est pas fait pour devenir plus fort ou vaincre l’adversaire. Non. Il aide à avoir l’esprit de se mettre au centre de l’Univers et de contribuer à la paix mondiale, de faire que tous les êtres humains forment une grande famille. »*

Un hymne à la joie

O Senseï disait : « Toujours pratiquer l’Aïkido d’une manière vibrante et joyeuse. »*
On ne parle pas assez souvent de la joie, notre monde nous incite à la tristesse, à réagir avec violence aux événements, à critiquer les défaillances des systèmes, à voir les défauts des autres, à être compétitif. Mais tout cela finit par nous rendre grincheux, acerbe et gâche notre plaisir de vivre tout simplement.
La joie est une sensation que je considère comme sacrée. La joie de vivre, de se sentir pleinement vivant dans tout ce que l’on fait, ou ce que l’on ne fait pas. La joie nous permet de vivre ce que beaucoup considèrent comme des contraintes de manière complètement différente, de les considérer comme des opportunités qui nous permettent d’aller plus loin, d’approfondir ce que mon maître appelait la respiration.
La joie nous amène petit à petit vers la liberté intérieure, qui est la seule liberté qu’il vaille vraiment la peine de découvrir comme le raconte si bien le maître de Taï-chi-chuan Gu Meisheng (1926 – 2003) qui la découvrit dans les prisons chinoises à l’époque de Mao.
Elle nous permet de sortir des conventions que les différents systèmes nous imposent.

L’Aïkido est l’art d’apprendre profondément, l’art de se connaitre soi-même.

L’esprit de l’Aïkido, on le trouve dans la nature, non pas une nature extérieure à l’être humain mais l’humain faisant partie de la nature, étant lui-même nature.
« La pratique de l’Aïkido est un acte de foi, une croyance dans le pouvoir de la non-violence. Ce n’est pas un type de discipline rigide ou d’ascétisme vide. C’est une voie qui suit les principes de la nature, des principes qui doivent être appliqués à la vie quotidienne. L’Aïkido doit être pratiqué du moment où vous vous levez pour accueillir le jour jusqu’au moment où vous vous retirez pour la nuit. »*
Chaque matin commencer dans le calme du dojo par une méditation de quelque deux ou trois minutes afin de se recentrer, de se concentrer. Puis passer à la Pratique respiratoire, comme l’a appelée Tsuda Senseï, et que O Senseï Morihei Ueshiba faisait à chaque séance. On peut alors aborder la deuxième partie, la pratique avec un partenaire, le plaisir de la communication à travers la technique, la respiration Ka Mi et tout cela de très bonne heure alors que beaucoup de personnes au-dehors ont à peine émergé du sommeil.
Quand rien n’est programmé, quand on est vide de toute pensée, dans ces moments sublimes où la fusion se réalise avec le partenaire, alors on est dans l’esprit de l’Aïki.
Comme dans le Zen, il nous est proposé de vivre ici et maintenant, de ne pas être différents de ce que nous sommes, mais de regarder avec lucidité ce que nous sommes devenus.

La transmission de l’esprit

Pour comprendre l’esprit de l’Aïkido il faut, à mon avis, plonger dans le passé, non seulement du Japon mais aussi, et peut-être même surtout, de la Chine ancienne. Aller y chercher les penseurs, les philosophes, les poètes qui alimentèrent la réflexion et donnèrent du poids à la pensée orientale. C’est grâce à mon maître Tsuda Itsuo que j’ai creusé dans cette direction : non pas qu’il ait fait des cours de philosophie ou tenu des séminaires sur le sujet, lui qui ne parlait qu’avec parcimonie, mais par contre il nous a légué avec ses livres une réflexion sur l’Orient et l’Occident, créant un pont entre ces deux mondes qui semblaient antinomiques.
L’immense culture de ce maître, que j’ai eu la chance de connaître, m’avait à l’époque laissé pantois, mais petit à petit j’ai pu pénétrer dans la compréhension de son message, de son œuvre philosophique qui m’avaient nourri. Mais cet homme, que j’avais admiré, avait laissé aussi des traces que je voyais sans les comprendre, d’autres signes, comme les maîtres du Zen : il a laissé des calligraphies. Comme dans cet art que l’on appelle aujourd’hui le Zenga il nous a transmis un enseignement à travers les idéogrammes, les sentences de Tchouang-tseu, Lao-tseu, Lin-tsi, Bai Juyi ou des proverbes populaires. Chacune de ces calligraphies nous fait découvrir une histoire, un texte, un art, qui justement nous permet d’aller plus loin dans la compréhension de cet esprit qui sous-tend notre pratique.

Réveiller la force intérieure

« Il y a des forces en nous, mais elles restent latentes, en sommeil. Il faut les éveiller, les activer. » écrivait Nocquet Senseï dans un article paru en 1987. Cette phrase fait écho pour moi à la calligraphie de Tsuda Senseï « le dragon sort de l’étang où il demeurait endormi, le talent transparaît ». Dans les deux cas ces maîtres parlaient du ki et nous incitent à chercher dans cette direction.
Sans la sensation concrète du ki nous passons à coté de l’essentiel. Comment parler de l’esprit de l’Aïkido sans en faire une suite de règles à observer sinon en suivant, en retrouvant les fondements de l’être humain. Notre société moderne industrielle nous facilite tellement la vie que nous ne bougeons plus, nous nous déplaçons trop facilement, nous n’avons dans les villes qu’à faire quelques mètres pour nous nourrir au lieu de courir, de chasser ou de cultiver. L’Aïkido permet de dépenser cette énergie en excès qui sinon nous rend malade. Mais il ne s’agit pas seulement de l’aspect physique, moteur, c’est tout notre corps qui a besoin de se retrouver, de se normaliser. Notre esprit surchargé d’informations inutiles a lui aussi besoin de se reposer, de trouver la paix au milieu de l’agitation qui nous entoure.

L’esprit de l’Aïkido est l’Aïkido

L’esprit de l’Aïkido se trouve tout simplement dans la pratique et petit à petit on le découvre. Et c’est une réelle jouissance que cette découverte. Les personnes qui débutent, quand elles prennent conscience de son importance, entrent pleinement dans cet art qui est le nôtre. Souvent c’est à ce moment que commencent les difficultés pour expliquer ce que nous faisons. On a envie d’en parler, d’inviter des amis à venir participer au moins à une séance.
On essaye de faire comprendre ce que l’on ressent. Les autres constatent notre enthousiasme mais n’arrivent pas à comprendre de quoi il s’agit. Et les réponses que l’on reçoit à nos explications, à ce que nous essayons de faire passer sont souvent plutôt décevantes. Elles peuvent aller de : « Ah oui moi aussi j’ai fait du Yoga l’année dernière pendant mes vacances au club Med. Mais j’ai pas le temps de faire un truc comme ça tu comprends, j’ai vraiment pas le temps. » Jusqu’à : « Oui ton truc c’est sympa mais ça prend la tête, moi tu sais, je fais de la self-defense, californo-australienne, et c’est vraiment efficace… ». Passer d’un monde à un autre demande d’être prêt, d’être prêt à découvrir tout simplement ce que l’on ne connaît pas encore, mais que l’on pressent. On commence à pratiquer parce qu’on a lu un livre, un article, et qu’on a été choqué, on s’est dit : « Bizarre ce type, mais j’aime bien ce qu’il raconte, j’aime bien cet esprit, il est proche de moi, proche de ce que je pense ».

Un art pour la normalisation de l’individu

C’est bien souvent l’esprit de la pratique qui nous fait continuer pendant de nombreuses années, et rarement les prouesses physiques ou techniques, qui de toute façon seront limitées par l’âge. La seule chose qui n’ait pas d’âge c’est le ki, l’attention, la respiration comme l’appelait Tsuda Senseï. Celle-ci peut s’approfondir sans limite aucune, et c’est pour cela qu’il y a eu des grands maîtres.
Si on éveille sa sensibilité, si la continuité est là, et si on est bien conduit ; si l’enseignement ne se limite pas à la surface mais nous permet de creuser, d’ouvrir par nous-mêmes des portes que nous ne soupçonnions pas, alors tout est possible. Quand je dis tout est possible, je veux dire que chacun devient responsable de lui-même, de sa vie, de la qualité de sa vie.
Comme le dit Yamaoka Tesshū : « L’unité du corps avec l’esprit peut tout faire. Si un escargot veut faire l’ascension du mont Fuji, alors il réussira. »
Ne pas chercher la réputation, ne pas chercher à devenir mais plutôt à être grâce à la réalisation personnelle. Apaiser les tensions internes, unifier le corps et l’esprit, qui bien souvent travaillent à contre-sens, quand ils ne travaillent pas l’un contre l’autre. Voilà le sens profond de la recherche que nous pouvons faire dans la pratique des arts martiaux. »

Article de Régis Soavi sur l’esprit de l’aïkido publié dans Dragon Magazine (Spécial Aïkido n°18)  octobre 2017

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Notes

* Citations extraites du livre L’art de la paix : Enseignements du fondateur de l’Aïkido Entretiens et écrits de Morihei Ueshiba regroupés par John Stevens, Guy Trédaniel Éditeur, 2000 https://www.decitre.fr/livres/l-art-de-la-paix-9782844451675.html

Aïkido : une évolution de l’être

Par Régis Soavi.

« L’Aïkido est un instrument de mon évolution, c’est lui qui m’a fait évoluer, je n’ai eu qu’à suivre avec opiniâtreté ce chemin qui s’ouvrait devant moi, qui s’ouvrait à l’intérieur de moi.

Comme de nombreuses personnes je suis venu à cette pratique pour sa martialité. Mais sa beauté, ainsi que l’esthétique de ses mouvements m’ont très vite fasciné, et cela déjà avec mon premier professeur Maroteaux Senseï. Puis, quand j’ai eu l’occasion de voir Noro Masamichi Senseï ainsi que Tamura Nobuyoshi Senseï, j’ai eu la confirmation de ce que j’avais pressenti : l’Aïkido c’était tout autre chose que ce que je connaissais.
J’arrivais du monde du Judo, avec les images qui nous avaient été transmises, comme par exemple celle de la branche de cerisier qui se couvre de neige et qui subitement la laisse s’écouler et se redresse. J’avais déjà traversé les idées qu’avait véhiculées le début du siècle et les années cinquante d’un « Jiu jitsu japonais qui transforme un petit homme malingre en monstre d’efficacité ».

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Le ki, une dimension à part entière

Par Régis Soavi

« Le Ki appartient au domaine du sentir et non à celui du savoir ». Itsuo Tsuda

Dès qu’on parle du ki on passe pour un mystique, une espèce d’hurluberlu : « Ce n’est pas scientifique, aucun instrument, aucune machine n’est capable de prouver, de démontrer que le ki existe ». Je suis parfaitement d’accord. Effectivement si on considère le ki comme une énergie surpuissante, une sorte de magie capable de projeter des personnes à distance ou de tuer seulement grâce à un cri, comme on le croyait avec le kiai, on risque de s’attendre à des miracles et d’être très vite déçu.Ki une dimension a part entiere

Le ki une philosophie orientale ?

Quelle est cette philosophie « orientale » à laquelle nous n’aurions pas accès ? Existe-t-il un domaine spécifique réservé à quelques adeptes, à quelques disciples triés sur le volet, ou bien cette connaissance est-elle à la portée de tous, et qui plus est, sans se compliquer la vie. Je veux dire en menant une vie normale, sans faire partie d’une élite ayant eu accès à des connaissances secrètes, sans avoir des pratiques spéciales, cachées et distribuées au compte gouttes, mais plus simplement en ayant un travail, des enfants etc. Quand on pratique l’Aïkido, évidemment on est dans une recherche tant philosophique que pratique, mais c’est une recherche « exotérique » et non « ésotérique ».
Itsuo Tsuda a écrit neuf livres, créant ainsi un pont entre l’Orient et l’Occident pour nous permettre de mieux comprendre l’enseignement des maîtres japonais et chinois, pour le rendre plus concret, plus simple et accessible à tous. Il n’est pas nécessaire d’être oriental pour comprendre, sentir de quoi il s’agit. Mais il est vrai que dans le monde où nous vivons il va falloir faire un petit effort. Sortir de nos habitudes de comportement, de nos références. Avoir un autre type d’attention, un autre type de concentration. Il ne s’agit pas de repartir de zéro mais de s’orienter différemment, de conduire notre attention (notre ki) d’une autre manière.
Déjà nous devons nous débarrasser de l’idée, très cartésienne, selon laquelle le ki serait une seule et même chose, alors qu’il est multiple. Admettre aussi que notre corps est capable de sentir des choses que l’on aurait du mal à expliquer rationnellement, mais qui font partie de notre vie quotidienne, comme la sympathie, l’antipathie, l’empathie. Les sciences cognitives tentent à coup de neurones miroirs et autres procédés de décortiquer tout ça, mais cela n’explique pas tout, et même parfois ça complique les choses.
De toute façon à chaque situation il y a une réponse, mais on ne peux pas analyser tout ce que l’on fait à chaque instant en fonction du passé, du présent, du futur, de la politique ou de la météo. Les réponses surgissent indépendamment de la réflexion, elles surgissent spontanément de notre involontaire, que ces réponses soient bonnes ou mauvaises, l’analyse nous le dira après coup.

Le ki en Occident

L’Occident connaissait le ki par le passé, on l’appelait pneuma, spiritus, prana, ou tout simplement souffle vital. Aujourd’hui cela semble bien désuet. Le Japon a gardé un usage très simple de ce mot que l’on peut retrouver dans une multitude d’expressions, que je cite plus loin, en reprenant un passage d’un livre de mon Maître.
Mais dans l’Aïkido qu’est-ce que le ki ?
Si une École peut et doit parler du ki, c’est bien l’École Itsuo Tsuda, et cela évidemment sans prétendre à l’exclusivité, mais simplement peut-être parce que mon Maître avait basé tout son enseignement sur le ki, qu’il avait traduit par respiration. C’est pourquoi il parlait d’une « École de la respiration » : « Par le mot respiration, je ne parle pas d’une simple opération bio-chimique de combinaison oxygène-hémoglobine. La respiration, c’est à la fois vitalité, action, amour, esprit de communion, intuition, prémonition, mouvement. »*
L’Aïkido n’est pas un art de combat, ni même de self défense. Ce que j’ai découvert avec mon Maître, c’est l’importance de la coordination de la respiration avec mon partenaire, comme moyen de réaliser la fusion de sensibilité quelle que soit la situation. Itsuo Tsuda nous expliquait à travers ses textes ce que lui avait transmis son Maître Morihei Ueshiba. Pour nous le transmettre de manière plus concrète, pendant ce qu’il appelait « la première partie » – la pratique solitaire, qu’on appellerait aujourd’hui Taizo – au moment de l’inspiration, il prononçait KA, et à l’expiration MI. Certaines fois il nous expliquait : « KA est le radical de Feu Kasai en japonais, et MI le radical de l’Eau Mizu ». L’alternance de l’inspire et de l’expire, leur union, crée Kami que l’on peut traduire par le divin.  « Mais attention, nous disait-il, il ne s’agit pas du dieu des chrétiens ni même de celui d’une quelconque religion mais, si vous avez besoin de références, on peut dire que c’est dieu l’univers, dieu la nature, ou tout simplement la vie ».
Il y avait au dojo un dessin exécuté à l’encre de chine et tracé par Maître Ueshiba comportant quatorze formes très simples que nous appelions Futomani car O Senseï avait dit qu’il lui avait été dicté par Ame-no-Minaka-nushi : le Centre céleste. Itsuo Tsuda en donne l’explication dans son livre Le dialogue du silence*. Grâce à cela j’ai mieux compris les directions que prenait le ki lorsqu’il avait une forme.

Dessin exécuté par Maître Ueshiba
Dessin exécuté par Maître Ueshiba

Renouer, retrouver les liens avec ce qui préexiste au plus profond de nous

Le fondateur parlait de Haku no budo et de Kon no budo : kon étant l’âme essentielle qui ne doit pas être étouffée, mais disait-il, on ne doit pas négliger l’âme haku qui assure l’unité de l’être physique.
Une fois encore on parle de l’unité.
Si notre pratique s’intitule Aï ki do : « voie d’unification du ki », c’est bien que ce mot ki a un sens.
La pratique concrète nous permettra de le comprendre, mieux que les longs discours. Et pourtant il faut tenter d’expliquer, tenter de faire passer ce message si important, car sans cela notre art risque fort de devenir un combat « Que le plus fort, le plus habile ou encore le plus malin gagne », ou bien une danse ésotérique, mystique, élitiste, voire sectaire.
Et pourtant nous connaissons bien le ki, nous le sentons à distance. Par exemple quand on se promène dans une petite rue la nuit, et que tout à coup on sent une présence, on sent un regard dans notre dos et pourtant il n’y a personne ! Quant soudain on remarque, sur un toit avoisinant, un chat qui nous regarde. Un chat tout simplement, ou un rideau qui se rabat subrepticement. Le regard est porteur d’un ki très fort que tout le monde peut sentir, même de dos.

Une des pratiques de Seitai do appelée Yuki consiste à poser les mains sur le dos d’un partenaire et à faire circuler le ki. Il ne s’agit aucunement de faire l’imposition des mains pour guérir quelqu’un qui à priori n’est pas malade, mais d’accepter de visualiser la circulation du ki, cette fois comme un fluide, comme de l’eau qui coule. Au début on ne sent rien ou peu de chose de la part de l’un comme de l’autre. Mais là encore, petit à petit on découvre le monde de la sensation. On peut dire que c’est une dimension à part entière dans la plus grande simplicité. C’est simple, c’est gratuit, ce n’est lié à aucune religion, on peut le faire à tout âge et quant on commence à sentir cette circulation du ki, la pratique de l’Aïkido devient tellement plus facile. L’exercice de kokyu ho par exemple, ne peux pas se faire sans le kokyu, donc sans le ki, à moins de devenir un exercice de force musculaire, une façon de vaincre un adversaire.
Je n’aurais jamais pu découvrir l’Aïkido que mon Maître enseignait si je n’avais pas volontairement et avec opiniâtreté cherché dans cette direction. Dans la recherche sensitive, à travers tous les aspects de la vie quotidienne pour comprendre, sentir, et étendre cette compréhension sans jamais abandonner.

Ambiance

Le ki est aussi ambiance, par conséquent, pour pratiquer il y a besoin d’un lieu qui permette la circulation du ki entre les personnes. Ce lieu, le dojo, doit à mon avis, chaque fois que cela est possible, être « dédié » à une pratique, une École. Itsuo Tsuda considérait que en entrant dans le dojo on se sacralisait, et c’est pourquoi on saluait en montant sur les tatamis. Ce n’est pas un lieu triste où les gens « doivent garder un visage renfrogné et constipé. Au contraire, il faut y maintenir l’esprit de paix, de communion et de joie. »* L’ambiance du dojo n’a rien à voir avec celle d’un club ou avec celle d’une salle multi-sports qu’on loue quelques heures par semaine et qui est utilisée, pour cause de rentabilité, par différents groupes n’ayant rien à voir entre eux. Le genre de local, de gymnase où l’on passe, on s’entraîne, puis une douche et ciao ; au mieux une bière au bistrot du coin histoire d’échanger un peu les uns avec les autres. Quand on connaît le ki, quand on commence à le sentir et surtout quand on veut découvrir ce qui se cache derrière ce mot, un lieu comme le dojo c’est vraiment tout autre chose. Imaginez un endroit calme dans un petit passage parisien au fond du vingtième arrondissement. Vous traversez un petit jardin et au premier étage d’un bâtiment très simple s’ouvre « Le Dojo ».

Dojo
Dojo

Vous y venez tous les jours si vous voulez, car chaque matin il y a une séance à sept heure moins le quart : vous êtes chez vous. Vous avez votre kimono sur un cintre dans les vestiaires, la séance dure à peu près une heure, puis vous prenez un petit déjeuner avec vos partenaires dans l’espace attenant, ou vous partez précipitamment au travail. Le samedi et le dimanche grasse matinée, séances à huit heure.
Expliquer le ki est une chose difficile c’est pourquoi seule l’expérience nous le fait découvrir. Et pour cela il faut y mettre les conditions qui permettent cette découverte. Le dojo fait partie des éléments qui facilitent grandement la recherche dans cette direction. Renouer des circuits, mais aussi dénouer ces liens qui nous enserrent et obscurcissent notre vision du monde

Petit à petit le travail va se faire, les nœuds vont se dénouer, et si nous acceptons qu’ils se dénouent on peut dire que le ki recommence à circuler plus librement. Il circule à ce moment là en tant qu’énergie vitale, il est possible de le sentir, de le visualiser, de le rendre en quelque sorte conscient. Car des tensions inutiles, qui n’arrivent pas à se libérer, rigidifient notre corps. Pour rendre la chose la plus claire possible, on pourrait dire que c’est à peu près comme si un tuyau d’arrosage était bouché. Il risque d’éclater en amont. La rigidification du corps oblige celui-ci à réagir pour sa propre survie. Il se produit alors des réactions inconscientes qui agissent au niveau du système involontaire. Pour éviter ces blocages, surviennent de micro fuites de cette énergie vitale et même parfois des fuites plus importantes, par exemple dans les bras, au niveau du koshi et principalement aux articulations. La conséquence immédiate est que les personnes n’arrivent plus à pratiquer avec fluidité et c’est la force qui compense le manque, on raidit des parties du corps qui se mettent à réagir comme autant de pansements ou de plâtres pour empêcher ces déperditions de la force vitale. C’est pourquoi il est si important de travailler sur le fait de sentir le ki, de le faire circuler. Au début c’est la visualisation qui nous le permet, mais au fur et à mesure qu’on approfondit la respiration (la sensation, la sensibilité au ki), si on reste concentré sur une pratique souple, si on se vide l’esprit, on peut découvrir, voir, sentir la direction du ki, sa circulation. Cette connaissance nous permet de l’utiliser et la pratique de l’Aïkido devient facile. On peut commencer à pratiquer la non résistance : Le non faire.

La sensibilité naturelle des femmes au ki

Les femmes ont généralement plus de sensibilité par rapport au ki ou, plus exactement, elles la conservent plus, si elles ne se déforment pas trop pour se défendre dans ce monde d’hommes où tout est régi suivant les critères et les besoins de la masculinité, de l’image de la femme qui est transmise et de l’économie. Leur sensibilité vient du besoin de conserver à leur corps la souplesse pour pouvoir accoucher de façon naturelle et s’occuper des nouveaux-nés. C’est une souplesse qui ne s’acquière pas dans les salles de sport, de musculation ou de fitness, c’est plutôt une tendresse, une douceur qui saura au besoin être ferme et sans aucune mollesse quand ce sera nécessaire. Le nouveau-né a besoin de toute notre attention mais il ne parle pas encore. Il ne peut pas dire : « j’ai faim, j’ai soif ou je suis fatigué », ou encore « maman tu est trop nerveuse, calme toi, et dis à papa de parler moins fort, cela me fait peur ».2011-07-20 at 08-21-28

Grâce à leur sensibilité naturelle, elles sentent les besoins de l’enfant, elles ont l’intuition de ce qu’il faut faire et le ki passe entre la mère et l’enfant. Quant le père, toujours très rationnel, ne comprend pas, la mère sent et du coup elle sait. Même si elle n’est pas mère, même si elle est une jeune femme sans aucune expérience, c’est le corps qui réagit, c’est lui qui a cette sensibilité naturelle au ki et c’est pourquoi, je pense, il y a tant de femmes dans notre École. C’est parce que le ki est au centre de notre pratique, que rien ne saurait se faire sans lui. Nous mettons notre sensibilité dans cette direction et ainsi on peut voir le monde et les personnes non plus seulement au niveau des apparences mais bien plus loin, dans leur profondeur, ce qu’il y a derrière la forme, ce qui la structure, ou ce qui la conduit.

Voici quelques exemples que donnait Itsuo Tsuda, extraits du livre Le Non-faire :

« La chose la plus difficile à comprendre dans la langue japonaise, c’est le mot « ki ».  En effet, si les Japonais l’utilisent des centaines et des centaines de fois par jour, sans y réfléchir, il est pratiquement, et je dirais aussi théoriquement, impossible d’en trouver un équivalent dans les langues européennes.
Si le mot, pris isolément, reste intraduisible en français, il n’est toutefois pas impossible de traduire les expressions courantes dans lesquelles il se trouve incorporé. Je vais citer quelques exemples :
ki ga chiisai : mot à mot, son ki est petit. Il se fait trop de souci pour rien.
ki ga ôkii : son ki est grand. Il ne se fait pas de souci pour des petites choses.
… ki ga shinai : je n’ai pas de ki pour… Je n’en ai pas envie. Ou, cela me dépasse.
… ki ga suru : il fait du ki pour… J’ai le flair, le pressentiment, je sens intuitivement…
waru-gi wa nai : il n’a pas de mauvais ki, il n’est pas méchant, n’a pas de mauvaises intentions.
ki-mochi ga ii : l’état du ki est bon ; je me sens bien.
ki ni naru : cela attire mon ki, je n’arrive pas à dégager mon esprit de cette idée. Quelque chose de bizarre, d’anormal arrête mon attention, malgré moi.
ki ga au : notre ki coïncide, nous sommes sur la même longueur d’ondes.
ki o komeru : concentrer le ki. Pour la question de concentration, je n’ai vu nulle part ailleurs d’exemple aussi hautement porté qu’au Japon.
ki-mochi no mondai : c’est conditionné par l’état du ki. Ce n’est pas l’objet, le résultat tangible, mais c’est le geste, c’est l’intention qui compte.
On pourrait encore citer plusieurs centaines d’expressions avec le mot ki.
Si les Japonais sont pour la plupart incapables de dire ce qu’est le ki, il n’empêche qu’ils savent instinctivement à quel moment il faut le dire ou ne pas le dire. ».

Itsuo Tsuda avait commencé l’Aïkido à l’âge de quarante cinq ans, il n’avait rien d’un sportif mais sa seule présence transformait toute l’ambiance du dojo. J’aimerais vous raconter une anecdote concernant un des exercices que je faisais dans les années soixante-dix, alors que mon Maître avait déjà plus de soixante ans. Lorsque je passais le portail de la cour au fond de laquelle se trouvait le dojo, je m’arrêtais un instant, je fermais les yeux et cherchais à sentir si « il » était là. Les premiers temps cela ne marchait pas trop, c’était des coups au hasard, des coups de chance. Petit à petit j’ai compris : je ne devais pas chercher à savoir. Alors j’ai commencé à me « vider », à cesser de penser et c’est venu. Je savais chaque matin si il était arrivé ou non. Je sentais sa présence dès que je m’approchais du dojo.
A partir de ce moment quelque chose s’est transformé en moi. J’avais enfin compris un petit bout de son enseignement, et surtout, j’avais vérifié que le ki ne faisait pas partie de l’irrationnel, que c’était concret, et que sa perception était accessible à tous puisqu’elle m’avait été accessible.

Article de Régis Soavi sur le thème du ki ( ) publié dans Dragon Magazine (Spécial Aïkido n°15)  janvier 2017.

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Notes :
* Itsuo Tsuda, Le Non-faire – Ed. Le Courrier du livre, 1973, p. 25.
* Itsuo Tsuda, Le Non-faire – Ed. Le Courrier du livre, 1973, p. 14.
* Itsuo Tsuda, Le dialogue du silence – Ed. Le Courrier du livre, 1979, p. 89 et 90.
* Itsuo Tsuda, Cœur de ciel pur – Ed. Le Courrier du livre, 2014, p. 117.
* Itsuo Tsuda, Le Non-faire – Ed. Le Courrier du livre, 1973, p. 23 et 24.